Prêcheur d’Islande

Actualité du 22/12/2022

Commençons par un paradoxe : tourné pour sa plus grande part en extérieur, au sein de vastes étendues abrasées par le vent glacial, surplombées de cascades vertigineuses, innervées par un flot de lave en fusion ou les remous de rivières capricieuses, Godland appelle, respire l’ampleur du cinémascope. Cependant à l’écran, le voyage ne déborde jamais l’image carré, format 1.33, indissociable des films originels et des plaques-contact propres aux Daguerréotypes.

Lucas, le héros (Elliott Crosset) est un homme d’église, conquis par la photographie. Nous sommes en 1860, L’Islande est sous protectorat du royaume du Danemark (elle le restera jusqu’en 1918). Lorsque le jeune prêtre reçoit mission d’évangéliser une communauté au fin fond de l’île, il emporte dans ses bagages un imposant matériel de prise de vue aux côtés de la croix en bois massif qui trônera au sommet de son église.

Le voyage s’effectue à travers une nature aussi majestueuse qu’inhospitalière. De frêle constitution, Lucas rejoint son but dans un piètre état. Sur place, une fois reposé, le prélat se frotte à Ragnar (Ingvar Sigurdsson). Visiblement peu disposé à l’égard d’une autorité nouvelle, le chef de la communauté s’obstine à utiliser une langue que le nouveau venu ne maîtrise pas (les sous-titrages changent de couleurs selon les réparties danoises ou islandaises). De son côté Lucas s’avère un bâtisseur incertain, pire encore un prêcheur velléitaire, peu porté sur la compassion, véritablement attentif à ses fidèles lorsqu’ils posent devant son objectif.

Grands espaces, frontières, conquête de territoire, il y a du western dans cette fresque scandinave qui combine les épopées de John Ford aux conflits métaphysiques chers à Carl Dreyer. Au même titre que les deux frères enferrés dans une carrière de calcaire (Winter Brothers 2017) ou du policier figé dans le deuil, au cœur des glaces hivernales (Un jour si blanc 2019), l’homme d’église se mesure à lui même, plus qu’il n’affronte les autres. Dans Godland il n’est pas question d’évangélisation, encore moins de rédemption ou de réconciliation mais d’une odyssée en creux, d’un long fondu enchaîné au terme duquel les corps s’effacent, comme absorbés par les éléments.

En l’espace de trois films, Hlymur Pàlmason s’affirme comme un paysagiste de l'âme, dans lignée de Michelangelo Antonioni (Le Cri 1957, L’Avventura 1960, Le Désert Rouge 1964), pour lequel le cinéaste islandais avoue un admiration pleinement justifiée.

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