Dans Les Revenants (2004), les morts s’extirpent des cimetières pour reprendre leur place chez les vivants. Figure centrale d’Eastern Boys (2013), un homme accueille chez lui la famille d’un jeune prostitué d’origine ukrainienne. 120 battements par minute (2017) s’ouvre sur l’irruption de militants d’Act Up, association en lutte contre la chape de silence qui, pendant dix ans, étouffa l'expansion mortifère du SIDA.
Le choc des mondes constitue le moteur premier du cinéma de Robin Campillo. Dans l’île rouge, ce thème de prédilection se combine avec l’exercice d’école des souvenirs d’enfance.
Début des années 70, après le Maroc puis l’Algérie, Thomas (Charlie Vauselle), sa mère et ses deux frères, posent leurs valises sur la base militaire 181 d'Ivato à Madagascar, la nouvelle affectation du père, sous officier de l’armée française. Thomas aime lire, non pas les aventures du Fantôme du Bengale mais les exploits de Fantômette. En dehors de ses lectures, le gamin musarde en classe et entre en complicité avec Suzanne (Cathy Pham), une camarade autochtone qui partage ses rêveries.
Il y a de la graine de détective, d'espion.., ou de cinéaste, chez ce gamin qui aime écouter, regarder, épier. A l’extérieur, il se terre dans un coffre-cabane. A travers les interstices, il observe les allées et venues autour de la maison. Durant les repas des grands, il se glisse sous la table. A l’intérieur, il installe son aire de jeu dans le couloir, d’où il perçoit les va-et-vient et conversations dans toute la maisonnée.
Un jardinier que l’on éconduit lors d’un déjeuner entre amis, Madame Guedj (Sophie Guillemin) et son racisme bon enfant, la suffisance condescendante du Général, les certitudes martiales du père (Quim Gutierrez) qui offre.., des bébés crocodile à son fils aîné. Dans L’île Rouge, la caméra se campe au niveau de l’enfant, à qui rien n’échappe, sans forcément tout comprendre. L’analyse viendra plus tard.
Et il y a la mère (Nadia Tereszkiewicz), encore jeune mais le regard déjà fané par la lassitude, son attention prononcée vis à vis de Thomas, le plus lunaire, le plus délicat de ses trois fils, auquel elle confectionne, sans sourciller, une panoplie de Fantômette.
Scénariste accompli, filmeur minutieux, Robin Campillo déroule un éveil aux autres, à soi-même et aux horizons infinis de l'imaginaire. Cette éclosion, il l'enrobe de nostalgie pour un paradis perdu, nimbé d'une douceur de vivre sous laquelle fermentent des fractures et des révoltes inévitables. Si elles se devinent à travers les escapades de Thomas, la domination coloniale, les dissymétries sociales et affectives, passent de l’implicite à l’explicite lorsque, lors du segment final, le regard de l’enfant cède la place à Bernard et Miangaly (Hugues Delamarlière et Amely Rakotoarimalala). L’idylle contrariée entre le militaire et la jeune malgache exprime frontalement ce qui se devinait auparavant.
Ce passage de l’impressionnisme au didactisme, ternit quelque peu le charme et la puissance de ce récit d’apprentissage, dans lequel le trouble trône en pleine lumière et le malaise s’immisce derrière la plus anodine banalité.
Photographies: Memento Films.