Rien ne se perd Rien ne se créé Tout se transforme

Actualité du 26/05/2022

Second long métrage, le premier en couleurs, de David Cronenberg, Crimes of the Future (1970) décrit les effets indésirables d’un produit cosmétique. A son contact, certains utilisateurs deviennent sujets à des sécrétions intempestives. D’autres génèrent des organismes, baptisés cancers créatifs, sans fonction particulière si ce n’est esthétique. A plus d’un demi siècle de distance, suite à 8 années de silence, le réalisateur bientôt octogénaire livre un appendice (au sens propre du terme) à cet opus de jeunesse.

Dans un futur proche, assisté par Caprice (Léa Seydoux), compagne-ex chirurgienne, Saul Tenser (Viggo Mortensen) s’adonne à des performances au cours desquelles il extirpe de ses entrailles des tumeurs artistiques, symptômes-symboles d’une éventuelle beauté intérieure. Ces sabbats sont vaguement canalisés par un détective (Welket Bungué) plus intrigué que coercitif et un couple de fonctionnaires (Kristen Stewart, Don McKellar) du Registre National des Organes, à l’efficacité érodée par des moyens insuffisants.

Dans cet ordre d'idées, Cronenberg, en accord avec ses thématiques, transforme en avantage un budget que l’on devine étriqué. Coproduction oblige le cinéaste délaisse les ciels bas des univers urbains Nord américains pour une cité portuaire, baignée de rouille, de soleil, peuplée de flibustiers (une large partie du film fut tournée en Grèce).

Le dernier tiers du récit découvre des mutants d’une nouvelle espèce, moins créatifs, plus utilitaires, vecteurs d’une solution définitive (ô combien réjouissante) au recyclage des déchets. Les Crimes du Futur (2022) réactivent la période horrifique du réalisateur qui, de Crimes of the Future (1970) à La Mouche (1986), décline une suite palpitante de mutations au cours desquelles les organismes réagissent et s’adaptent à divers dérèglements. Chez Cronenberg l’humanité n’est pas condamnée à disparaître mais à se transformer. L’évolution induit de nouveaux codes : la douleur devient un refuge, le désir, le plaisir s’accommodent mal du sexe à l’ancienne (sic).

Les Crimes du Futur s’assimilent à la rêverie prophétique d’un maître cinéaste. Hermétique au prêt à penser, le visionnaire agrémente ses colères, enlumine ses obsessions, d’un humour en creux, révélateur d’une fantaisie désenchantée et d’une infinie intelligence. On remarquera pour finir que le moment le plus éprouvant concocté par le Seigneur de l’horreur reste une brève séquence d’étouffement d’une terrible sobriété. D’autre part joignant le geste à la parole, David Cronenberg a mis aux enchères ses calculs rénaux, qui a ce jour n’ont toujours pas trouvé preneur. Comme quoi, à l’instar de Saul Tenser, David doit prendre son mal en patience.

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