Salvador surmultiplié

Actualité du 10/02/2024

Rencontre (inévitable) entre le plus excentrique des surréalistes et l'un des plus extravagants (et le plus concis) des réalisateurs en activité, Daaaaaali s’avère, on s’en doute, plus proche de la rêverie que de l’autobiographie.

Le nouveau film de Quentin Dupieux salue autant qu’il emprunte à Luis Bunuel. Cependant, si les deux premiers opus du cinéaste : Un chien andalou (1929), L’Âge d’or (1930) furent coécrits par le peintre, Daaaaaali puise plutôt dans ses œuvres tardives, composées avec Jean-Claude Carrière.

Une jeune journaliste (Anaïs Demoustier) tente d’interviewer le Maître, qui se dérobe au seuil de chaque rendez-vous. Déjà présent chez Dupieux dans Reality (2014), Le Daim (2019), Yannick (2022), l’acte empêché (l'impuissance?) constitue, par ailleurs, le moteur de L’Ange exterminateur (1962) où des invités ne peuvent quitter la maison de leurs hôtes, du Charme discret de la bourgeoisie (1972) et ses convives incapables d’entamer leur dîner. On pense encore à Cet obscur objet du désir (1977), dans lequel l’honorable Mathieu (Fernando Rey) tente de posséder une jeune danseuse qui, sans cesse, l'envoute avant de s’évaporer.

 

Dans ce geste testamentaire, la belle est incarnée, tour à tour, par Angela Molina et Carole Bouquet, dont ce fut la première apparition. Pour personnifier le peintre fantasque, Quentin Dupieux reprend la même option, qu’il répartit entre cinq interprètes.

Improvisateur raffiné ou histrion pour une fois confronté à un caractère qui le dépasse, Édouard Baer et Jonathan Cohen tirent leur épingle du jeu de rôle. Une mention spéciale, toutefois, à Didier Flamand, cloué dans le fauteuil roulant du génie déclinant, terrifié par la dégénérescence, la mélancolie s’immisce alors dans la fantaisie.

Nouveau venu dans la troupe, Romain Duris dote d’un sourire carnassier un producteur pré-#MeToo. Marmoréenne, Catherine Schaub-Abkarian rappelle que Dali ne serait pas Dali sans Gala. Obstinée, frétillante comme jamais, Anaïs Demoustier s’affirme comme l’égérie de son fantasque metteur en scène

Celui-ci prolonge ses crédits référentiels et enchâsse les rêves, à la manière de Don Luis, dans La voie Lactée (1969) ou Le Fantôme de la liberté (1974). Enfin, cerise sur le gâteau : la première entrevue entre Dali et son intervieweuse, s’ouvre sur un gag-citation de Sacré Graal ! (1975).

Délibérément sans queue ni tête, Daaaaaali délivre une apologétique moins à l’artiste illuminé qu’au personnage halluciné, authentique pionnier de l’autopromotion, pas toujours drôle mais jamais ridicule. A cet effet, convoquer Bunuel et Monty Python, élargit l’éloge des génies loufoques et séditieux, desquels Quentin Dupieux se revendique, en héritier, certes inégal et néanmoins légitime.

Photographies : Diaphana Distribution.

Retour à la liste des articles