Sans laisser de trace

Actualité du 11/09/2021

Au début de Chers camarades, Lioudmila se rhabille après une nuit auprès de son amant. De retour au domicile, la jeune veuve apprend par sa fille étudiante que la colère monte dans l’usine ferroviaire voisine. Il s’ensuit une discussion brève et vigoureuse autour de la hausse des prix (+30%). Lioudmila se rend ensuite à la Mairie. La nouvelle tombe lors du comité municipal : les ouvriers ont cessé le travail et marchent vers la ville.

Grève en URSS : 26 morts, 87 blessés. Pour son retour sur sa terre natale Andrey Kontchalovsky restitue le drame de juin 1962, à Novocherkassk au Sud de la Russie. Dans un noir et blanc propre aux photos et aux films de l’époque, Chers camarades déroule 48 heures de la vie d’une fonctionnaire écartelée entre ses fonctions, ses affects et ses convictions.

La seconde moitié demeure prenante mais le premier segment s’avère saisissant. Le réalisateur capte l’incrédulité, l’inquiétude, la panique face à une brutalité aussi sidérante qu’inattendue. Si elle peine à remplir les magasins et payer les salaires, la machine d’état déploie une redoutable efficacité lorsqu’il s’agit d’escamoter des preuves et d’effacer les mémoires. En quelques heures, l’amnésie collective se scelle dans la liesse. Le tour est joué, il le restera près de 30 ans.

Artiste erratique, cinéaste caméléon, Kontchalovsky (84 ans) passe de la Renaissance, ses fastes, ses complots, ses paradoxes (Michel Ange 2019) aux dommages collatéraux de la déstalinisation. La charge est minutieuse, énergique et documentée. L’armée se défie du KGB, les apparatchiks obtempèrent ou se débrouillent…, le chaos est banalisé. Mais l’essentiel reste l’humain. De même qu’Alberto Testone irradie Michel Ange, Yuliya Vysoskaya illumine Chers Camarades de sa beauté déterminée. Au sommet de son art ce maître filmeur agence un splendide véhicule à son interprète qui est aussi son épouse.

Voilà bien la moindre des choses.

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