Il faut que je me quitte, Sarah Bernhardt prononçait cette phrase avant chaque entrée en scène. Curieusement, dans Sarah Bernhart, la Divine, la plus grande actrice de son époque (1844-1923), apparaît peu sur les planches mais se déploie dans une perpétuelle représentation.
Filmeur prolifique, éclectique et très inégal, Guillaume Nicloux, après avoir frayé avec Gérard Depardieu, Isabelle Huppert, Michel Houellebecq.., confirme sa dilection pour les monstres sacrés. Sa biographie filmée de la Walkyrie des plateaux casse les codes linéaires de la bio filmée et, à ce titre, entretient quelques correspondances avec Le Molière imaginaire, diffusé dans les salles en février dernier.
Outre l’évocation de génies tutélaires de l’art dramatique et la présence partagée de Laurent Lafitte, les deux titres combinent réalité documentaire et pirouettes affabulatrices. D’autre part, chaque récit s’appuie sur une agonie.
L’espace d’un plan-séquence ad-libitum, Olivier Py rêve les dernières heures de Jean-Baptiste Poquelin, accordées à sa prestation dans Le Malade imaginaire. Dans leur Sarah Bernhardt, Nicloux et la scénariste Nathalie Leuthreau, adossent les ultimes instants de Marguerite Gauthier, alias La Dame aux camélias, aux confidences pré-mortem de son interprète, visitée par le tout jeune Sacha Guitry (Arthur Mazet).
L’épanchement enchevêtre les chronologies autour de deux épisodes historiques : l’amputation d’une jambe, suite à une tuberculose osseuse traitée en 1915 et La Journée Sarah Bernhardt, organisée le 9 décembre 1896 par le gratin de l’intelligentsia parisienne. Une direction artistique classieuse régit une succession de tranches de vie, en des tableaux chargés d’étoffes, de bouquets, de porcelaines et d’animaux exotiques (très prisés par la dame).
Ainsi découvre-t-on pêle-mêle, que si elle enchaînait les rôles (parfois masculins), Sarah compilait les amants dont Victor Hugo, Lucien Guitry (acteur, père de Sacha) et les amoureuses, telle la peintre-dessinatrice Louise Abbéma (Amira Casar). En chemin, elle incite Émile Zola, futur auteur du pamphlet J’accuse, à suivre de plus près l’affaire Dreyfus. Elle encourage Edmond Rostand, rongé par le doute au seuil de son Cyrano. Elle juge assommant un médecin d’origine autrichienne : un certain Sigmund Freud. En quête d’une pleine indépendance, intime, artistique et économique, elle se construit un théâtre à son nom.
Sage précaution, pour personnifier cette artiste démesurée, matrice du star-system, pionnière des émancipations, Guillaume Nicloux et ses producteurs écartent les Adjani, Huppert, Ardant et autres divas, susceptibles de distordre le personnage au prisme des postures et des égos. Heureuse initiative, ils confient Sarah Bernhardt à Sandrine Kiberlain.
L’actrice drape le caractère dans son intelligence aérienne. Sa Divine rayonne d’une autorité fantasque, madrée d’un subtil machiavélisme. Sarah règne sur sa cour, Sandrine rayonne au cœur d’un aréopage de partenaires, biberonnés au Conservatoire et la Comédie Française. Fusent les bon mots, crépitent les numéros. Avec, cerise sur les tréteaux, un dialogue de rupture cinglant, déchirant, entre Sarah et Léon Guitry, alias Laurent Lafitte, décidément magistral dans les figures tourmentées.
Sarah Bernhardt, la Divine travaille un cinéma à l’ancienne, pétri d’esprit, épris de conversations. En rupture avec ses errements paresseux, Guillaume Nicloux file une parenthèse brodée de panache, piquée de fausse désinvolture. Enfin et sans l'ombre d'un doute : La Divine mérite la Kiberlain.
Photographies : Les Films du Kiosque.