Shoukran Mister Ballantyne

Actualité du 01/11/2023

Le détricotage des services sociaux (I, Daniel Blake-2016), l’ubérisation du travail (Sorry We Missed You-2019), les derniers films de Ken Loach confirment son indignation face aux dernières brutalités, imaginées par un système libéral à l'encontre des plus pauvres.

Pour the The Old Oak, le réalisateur et Paul Laverty, son indéfectible scénariste, reviennent dans le nord-ouest de l’Angleterre, où furent tournés les deux longs-métrages précédents. Si la révolte face à l’accablement persiste, la tonalité du nouvel opus évolue de l’emportement vers l’expectant.

Un bus déverse quelques familles syriennes dans un village aux environs de Newcastle. Dans la communauté, en déshérence depuis la fermeture des houillères, la colère face à la dépréciation de l’immobilier, cristallise la méfiance vis à vis de ces étrangers, à priori assistés.

La grogne et le dépit s’écoulent entre deux pintes, sous le silence circonspect de Tj Ballantyne (Dave Turner), patron du Old Oak. Et lorsque, en quête d'une réparation, Yara (Ebla Mari) pousse la porte du pub, une amitié se noue entre le bistrotier solitaire et la jeune transfuge, éprise de photographie.

Oak-Loach, The Old Oak (Le Vieux Chêne) n’est pas sans analogie avec l'inusable réalisateur. A 87 ans et une trentaine de films, Ken Loach poursuit ses inlassable équipées à travers le quotidien des gens de peu, désormais variables d’ajustement à la main mise de l’économie.

 

Comme toujours, les histoires tissées par Laverty allient rythme et concision. Imparables, les séquences du frigo et du salon de coiffure, résument la fierté face au dénuement mais aussi la clairvoyance féminine, en contrepoint des hommes, engoncés dans les préjugés. Comme d’habitude, le ton reste juste et la caméra à la bonne distance des protagonistes, acteurs de circonstances, retenus à la suite de mois d’enquêtes et d’entretiens.

Mais, cette fois, le pamphlet cède la place à la fable.

Quand on mange ensemble, on se serre les coudes.

Fort de cette antienne, héritée de la culture minière, Ballantyne accepte d'héberger une cantine solidaire, à destination de tous les habitants. Bien entendu l’initiative n’ira pas sans obstacles. Mais au-delà de ce parcours du combattant, The Old Oak, touche par l'aura élégiaque qui entoure Ballantyne, philanthrope taiseux, ermite en quête de contrition ou par cette mélancolie recueillie qui enveloppe la visite de la cathédrale, sanctuaire religieux, appréhendé comme un mausolée du génie, de l’aptitude et l’abnégation du monde ouvrier.

Lors du final qui n’est pas sans rappeler l’ultime séquence de La Vie est belle (1946), réalisée ici, par un Franck Capra agnostique, Ken Loach trouve un épilogue probe et touchant, pour son ode à une fraternité laïque. D'une pierre deux coups, il paraphe le codicille d'une œuvre rigoureuse, humaniste, célébration du collectif, de la solidarité, ultimes barrages à la vénalité et son cortège d’injustices.

Avec sa dernière lettre qui pendouille de l’enseigne mais ne chute pas, The Old Oak s’assimile à un testament de la part d’un maître-cinéaste, chroniqueur scrupuleux des évolutions de la société britannique, en particulier et du libéralisme mondialisé, en général. Un citoyen de gauche, adepte de la ligne droite.

Shoukran Mister Loach.

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