Aube des années 80, une station balnéaire sur la côte anglaise, de son architecture imposante, l’Empire domine le front de mer. Le bâtiment trône et resplendit, pourtant deux de ses quatre écrans sont fermés et le dancing, au panorama inédit sur le littoral, est désormais un refuge à pigeons.
Hilary (Olivia Colman) officie comme directrice adjointe du cinéma qui joue All that Jazz, Raging Bull, The Blues Brothers.. . Mais elle ne franchit le seuil de la salle que pour le nettoyage à la fin des séances. Le reste du temps, elle stationne derrière la caisse, le comptoir à confiserie ou sur une banquette du foyer, à comptabiliser les recettes du jour. Agréable au sein de l’équipe, l’ambiance s’alourdit lors des apartés requises par le directeur (Colin Firth).
La routine se réveille à l’arrivée de Stephen (Michael Ward). Une empathie s’esquisse entre la quadragénaire solitaire et le jeune homme noir, lassé de végéter aux portes des universités. Lorsque la complicité vire à l’amitié amoureuse, Stephen découvre les troubles neurasthéniques d’Hilary.
Empire of Light est le neuvième film de Sam Mendes. Dans l’esprit éclectique de ses confrères britanniques, le director partage ses activités entre productions théâtrales autour de Shakespeare, Tchekhov, Roald Dalh (Charlie et la Chocolaterie, adapté en musical) et films de cinéma.
Dans ce registre Mendes persiste dans les contrastes, alternant opus intimistes (American Beauty 1999, Les Noces rebelles 2008) et méga productions, dont une paire de James Bond: Skyfall (2012), 007 Spectre (2015) et une fresque immersive: 1917 (2019). Écrit durant le confinement, inspiré par son adolescence et le souvenir dune mère bipolaire, Empire of Light appartient, on s’en doute, à la première catégorie.
Le récit recense la solitude d’une femme entre deux âges. Au même titre que ses collègues, dont Norman (Toby Jones) qui sanctuarise sa cabine de projection, Hilary se calfeutre dans le hall du cinéma, véritable sas de protection entre les illusions de la salle et les dommages collatéraux du thatchérisme qui défilent devant les portes vitrées.
Compte rendu d’une brève (et belle) rencontre, le film évite les effets de manche du mélodrame et plus encore de la tragédie. Sam Mendes tisse une chronique à base de regards, de silences, d’élans, de maladresses.., rien que des petits riens qui éclairent, un temps, la détresse endémique d’Hilary. Dans ce carrousel impressionniste, les interprètes se montrent à leur affaire et la prestation d’Olivia Colman relève d’un minimalisme proprement éblouissant.
Plus proche de l’humanisme attentif d’un Ken Loach que du glamour hollywoodien, Mendes déroule sa chronique sous les lustres chatoyants d’un Luna park ou enchassé dans le velours, les cuivres, le bois massif qui transforment l’antichambre du cinéma en écrin bigger than life.
Being There-Être là, ce pourrait être le sous titre d’Empire of light mais l’expression est déjà le titre de la bande que Norman projette, un soir, à la demande d'Hilary. Dans ce film réalisé en 1979 par Hal Ashby, Peter Sellers incarne Mister Chance, un vieil homme pétri d’une élégante sagesse. Ce contre emploi fut la dernière apparition de ce fabuleux Frégoli, qui décéda peu après la fin du tournage. Par cette citation, Sam Mendes appose la touche finale à sa ballade des cœurs solitaires, élégie à la fois délicate et scintillante, nostalgique et majestueuse.