Tant par le sujet que le contexte, il existe quelques similitudes entre O corno, un histoire de femmes et Annie Colère.
Diffusé en décembre 2022, le film de Blandine Lenoir ravive les activités du Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et la Contraception (MLAC) qui, dans les années 70, fédéra jusqu’à 15 000 adhérents répartis en cellules vouées à la pratique de l’interruption de grossesse et l’information sur les méthodes contraceptives.
O corno, une histoire de femmes, nous transporte toujours dans les seventies mais de l’autre côté des Pyrénées. La dictature franquiste enserre le pays sous un rigorisme, qu’une partie de la population contourne dans une complicité souvent aventureuse.
Jaione Camborda ouvre son récit par une mise au monde. Capté sur la durée, l’acte devient une transe organique où les fluides se mêlent à la douleur et l’acharnement. Sur l’île de Arousa, au large de la Galice, entre deux accouchements, Maria (Janet Novas), ramasse des coquillages et récolte le corno, l’ergot du seigle, qui, dans certaines situations, accélère les contractions jusqu’à provoquer des fausses couches. Le décès de la jeune Luisa, à qui elle administra sa potion, oblige la sage-femme à une fuite vers le Portugal. Des rives ensoleillées aux abîmes nocturnes, le sauve-qui-peut de Maria détourne le récit vers l’équipée dangereuse: passage du fleuve, cache-cache avec les carabiniers.
Si dans Annie Colère, Blandine Lenoir pratique une reconstitution d’époque, Jaione Camborda cultive un vérisme-poétique propre à la métaphore : un filet de sang relaie la défloration, des tâches écarlates sanctionnent un décès. Mais leurs films se rejoignent dans la peinture d’une communauté, cimentée par une sororité tacite, qui supplante toute justification. Dans les deux cas, les femmes gèrent leur infortune, non dans une misandrie schématique mais dans une solidarité bien comprise ou le féminin reste maître de son destin.
Au fil de son équipée, Maria remarque un magicien. Il découpe des femmes en deux et reçoit néanmoins quelques égards. Elle croise une aubergiste mutique, trouve refuge auprès d’un prostituée fataliste, voire maternelle. Cette odyssée au féminin traverse une galerie des glaces, où l’altérité reste de mise, malgré les reflets chantournés.
La séquence finale boucle la boucle. De bout en bout Maria, à laquelle Janet Novas (comédienne-danseuse) insuffle une stupéfiante force terrienne, gardera la maîtrise de son corps et la conduite de son destin. Car dans l’enfantement ou l’avortement, c’est dans les femmes que ça se passe. Tout au long de cette initiation picaresque, Jaione Camborda pare le féminisme d’une animalité poétique qui dépasse les clivages conventionnels. Qu’elle en soit remerciée.
Photographies : Epicentre Films.