Spécial tyrans domestiques

Actualité du 07/10/2021

C’est ce qu’on appelle les hasards de la distribution, le mercredi 29 septembre sont sortis sur les écrans trois films issus de divers horizons mais traitant d'un sujet similaire: la domination masculine. Si Eugénie Grandet relève du portrait à charge, Les intranquilles et After love proposent une vision plus complexe, voire mystérieuse des rapports de pouvoir au cœur de l'intime.

Adaptation du roman éponyme, écrit en 1834 par Honoré de Balzac, Eugénie Grandet s’attache à une jeune femme cloîtrée avec sa mère par un paternel autoritaire et âpre au gain. Dans la France post 1789, dite la Restauration, le tonnelier se construit capital et patrimoine par des manœuvres spéculatives et la récupération de biens confisqués. Face à la ladrerie endémique du patriarche, la mère s’abîme dans le silence et la fille dans la religiosité.

Outre le contre emploi mémorable attribué à Valérie Bonneton, jusque là abonnée aux compositions pétulantes, la présence massive et ombrageuse d’Olivier Gourmet constitue l’atout majeur du projet. L’acteur dote le hobereau d’une rage bestiale, tellurique et proprement terrifiante lorsque surgissent des contrariétés.

Écrite et réalisée par Marc Dugain, lui même écrivain (on lui doit La chambre des officiers, porté au cinéma en 2001 par le regretté François Dupeyron), l’adaptation reste néanmoins desservie par une photographie picturale (Ah les lumières à la bougie de Georges de La Tour) qui abrase l’âpreté abjecte que Grandet impose à son entourage. Implacable et rugueuse, la trame de Balzac ne méritait pas un tel académisme.

Photographie: High Sea Production, Tribus P films.

Après une virée à travers les steppes du Kirghizistan (Continuer 2018) Joachim Lafosse revient à son thème de prédilection : les enfers domestiques présents dans la plupart de ses films notamment le magistral L’économie du couple (2016).

Dans Les intranquilles, Damien et Leila ont un fils Amine. Damien peint, Leila restaure des meubles anciens. L’habileté de Lafosse réside dans les éraflures qu’il dispose de ci de là, dans le tableau idyllique d’une famille heureuse. Le papa farceur se métamorphose peu à peu en hyperactif, autiste, épuisant voire dangereux lorsque se manifeste le manque de sommeil. Damien s’agite, Amine observe, Leila colmate, protège, canalise car Damien est un artiste, il vend, il est côté, il a un galeriste et il réalise ses meilleurs toiles lors de ses crises extrêmes.

Peu à peu Amine décroche, Leila s’accroche, se multiplie jusqu’à se perdre. Pensé avec les acteurs : Damien Bonnard, Leila Bekhti qui donnent leur prénom aux personnages, Les intranquilles s'apparente à une fuite en avant à la fois toxique et inexorable. Dans ce compte rendu clinique chacun a ses raisons. Jusqu’à la déraison.

Photographie: Fabrizio Maltese.

 

Ahmed lui, on l’aperçoit à peine au tout début d’After love. Et pour cause la silhouette décède à la fin du premier plan. KO debout, Fahima est assommée pour le compte lorsque le portable de son époux lui apprend l’existence d’une autre femme sur l’autre rive du Channel. La jeune veuve embarque pour Calais, à la rencontre d’Ariane.

Sur ce prétexte le film de Aleem Khan additionne en moins de 90 minutes, coups de théâtre et révélations. De cet empilement quelque peu systématique, l’on constate toutefois que si ce capitaine au long cours imposait beaucoup à ses compagnes, lui ne s’interdisait rien.

Au fil des secrets dévoilés s'insinue un fantôme tapi dans des photos, des souvenirs audios et les fêlures de son entourage. Outre la recension à la fois chirurgicale et sensible du chagrin chez Fahima, l’effondrement  constitue la récurrence majeure du portrait croisé de ces deux femmes. Sobrement incarnées par Joanna Scanlan et Nathalie Richard, Fahima et Ariane apparaissent à la fois brisées et quelque part libérées.

Photographie: Ran Studio.

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