Tartuffe à cran d’arrêt.

Actualité du 25/03/2022

Bien avant Harry Potter, vint Harry Powell. Mais celui ci accéda à la postérité sans générer ni suites, ni produits dérivés. Pourtant La nuit du chasseur est un film unique dans toutes les acceptions. Ce fut la première et seule réalisation de Charles Laughton (1899-1950). En 1954, l’acteur entreprit d’adapter un best seller de Davis Grubb (1919-1980), romancier spécialisé dans le fantastique et le roman noir.

Le projet se monta grâce à l’implication de Robert Mitchum. Au faîte de sa gloire après le succès de Rivière sans retour, l’acteur se glissa dans la silhouette austère de ce prédicateur, lâché sur les routes de la dépression. Un homme de foi qui au réconfort des offices, préfère l'intempérance des cabarets. Et lorsque une effeuilleuse se débarrasse de l’essentiel, la lame d’un cran d’arrêt déchire l’entrejambe du pasteur. Eros et Thanatos, cette érection stupéfiante, annonce l'audace du projet. Construit en ellipses, le récit oscille entre la fable contemplative, d'essence féerique ou biblique, et un vérisme nourri de cruauté.

D’une drôlerie irrésistible dans L’extravagant Mr Ruggles (Leo Mc Carey 1935), Charles Laughton (le Michel Simon anglo saxon) collectionna une édifiante galerie de manipulateurs, sadiques et sans scrupules : L’île du docteur Moreau (Erle C. Kenton 1932), Les révoltés du Bounty (Frank Lloyd 1935), La taverne de la Jamaïque (Alfred Hitchcock 1939). Laugthon connaissait bien le sujet et Mitchum, indifférent aux questions d’image et de popularité, ne chercha jamais à tempérer la folie prédatrice du personnage.

Exceptionnelles encore furent les relations entre David Grubb, James Agee scénariste et Laughton réalisateur, les uns et les autres avançant à force de conseils et de suggestions. Comme l’écrira plus tard Gérard Mordillat, lui même écrivain et cinéaste : Une symbiose miraculeuse dans l’histoire du Cinéma.

La chevelure de Shelley Winters qui s’entremêle avec les algues de la rivière, les passages nocturnes entre pénombre dangereuse et lueur réparatrice, La nuit chasseur doit une large part de sa renommée aux lumières de Stanley Cortez.

J’ai expliqué à Charles chaque dimanche, pendant six semaines le fonctionnement de la caméra, ce que l’on obtenait avec les différents objectifs. Mais bientôt l’élève est devenu le maître. Pas en ce qui concerne la technique, mais les idées cinématographiques.

Le chef opérateur de La splendeur des Amberson (Orson Welles 1942), du Secret derrière la porte (Fritz Lang 1948) et quelques années plus tard de Shock Corridor (Samuel Fuller 1960), confirme la parenthèse enchantée que constitua le tournage.

Peut-on imaginer que cette harmonie nourrît un tel désenchantement vis à vis de la société des hommes ? Solidaire, truculente, bienveillante chez John Ford ou Frank Capra, l’Americana devient chez Laughton, une humanité grégaire, bipolaire, qui verse de la ferveur à la fureur, de la compassion au lynchage. Plus de 60 ans après, comment ne pas songer aux meutes qui rodent sur les réseaux sociaux ? Cette allusion visionnaire au web et ses travers, se perçoit encore dans la toile d’araignée, leitmotiv de la maille dans laquelle Powell enserre les deux enfants.

Gardez vous des faux prophètes qui viennent vers vous vêtus en brebis mais qui en dedans sont des loups.

Citée en ouverture du film, la prévention s’adapte mieux que jamais aux imprécateurs qui ont désormais table ouverte dans certains lieux de culte ou officines médiatiques.

Lorsqu’autrefois j’allais au cinéma, les spectateurs étaient rivés à leur siège et fixaient l’écran droit devant eux. Aujourd’hui, je constate qu’ils ont le plus souvent la tête penchée en arrière pour mieux absorber leur pop-corn et leurs friandises. Je voudrais faire en sorte qu’ils retrouvent la position verticale.

Charles Laughton expliquait ainsi la raison d’être de La nuit du Chasseur. Le film connut un échec cuisant et Laughton retourna à sa carrière d’acteur. C’est fort dommage car le réalisateur avait tout senti.

Article rédigé en référence à "American Gothic" de Jonathan Rigby, "Les classiques du cinéma fantastique" de Jean-Marie Sabatier et la notule signée par Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon dans « 50 ans de cinéma américain ».

 

La nuit du chasseur en réedition actuellement sur les grands écrans.

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