The King and the Colonel

Actualité du 10/08/2022

 

Après Shakespeare (Roméo+Juliette 1996), Francis Scott Fitzgerald (Gatsby le Magnifique 2013), le dancing movie (Ballroom Dancing 1992), la comédie musicale (Moulin Rouge 2001), Baz Luhrmann se frotte au biopic. Montage fragmenté, écran morcelé, ellipses, surimpressions à foison, le réalisateur met sa cinématographie hyperactive au service de l’existence météorite d’Elvis Aaron Presley (1935-1977).

Le tourbillon audiovisuel s’entame dans l’éblouissement lorsqu’il s’attache au gamin élevé dans un baraquement au fin fond du Mississippi, imprégné par la sensualité de la musique noire : profondeur du blues, transe du gospel, vitalité sexuée du rock’n roll. La suite est mieux documentée : un disque enregistré pour Sun Records, les premiers déhanchements scéniques, pétrifiant les auditeurs, hystérisant les auditrices biberonné(es) aux émois placides des mélopées country.

L’indignation musclée de la majorité morale, pierre angulaire du Maccarthysme des années 50, résonne avec la résurgence néoconservatrice qui se cristallise, de nos jours, dans les gesticulations ignobles de Donald Trump. Procédé traditionnel dans la biographie filmée, la trajectoire du chanteur pétri par la foi et le multiculturalisme, s’inscrit dans le contexte d’une époque, ici les assassinats des frères Kennedy et de Martin Luther King, symptômes de la perte de l’innocence d’une Amérique, effigie du Monde Libre.

Dérive d’une société à travers le destin contrarié d’une de ses idoles, la partition attendue est considérée par un tiers : le Colonel Parker, seul et unique imprésario d’Elvis Presley. Héritier sans partage de l’immense James Stewart, Tom Hanks glisse sa bonhomie foncière dans la silhouette enveloppée de cet officier sans états de service. Face à un père biologique velléitaire jusqu’à la transparence, Parker devient un paternel de substitution, dans un premier temps Sancho Panza éberlué par les utopies donquichottesque de sa découverte puis métamorphosé par la suite en contretype de Pygmalion.

La parenthèse cinéma du King : 27 films moyens ou médiocres entre 1956 et 1965, est à ce titre révélatrice du système Parker, privilégiant les aubaines marchandes aux aspirations artistiques. Acteur en rupture d’Hollywood, icône générationnelle déboulonnée par les Beatles, Elvis devient une machine à cash, assignée à résidence dans un Hôtel de Las Végas, luxueux mausolée de sa déréliction. Méphistophélès n’est pas loin, lorsque chassé par Presley, Parker brandit une liasse de factures qui, tel un pacte faustien, oblige la star essorée à battre en retraite.

Pour qu’un film soit une réussite, il faut que le méchant soit réussi. Baz Luhrmann satisfait cette acception hitchcockienne. Quant’à Elvis, lorsque seul au piano, il entonne une dernière fois Unchained Melody, Austin Butler se confond avec son modèle. La communion atteste que le chanteur d’exception, au pelvis d’airain mais au caractère friable, trouvait sur scène ses uniques moments de bonheur et de liberté.

Financé par la Warner Bros, tourné en Australie par un australien, Elvis, par l’intelligence de ses partis pris, l’engagement de ses interprètes et la maîtrise échevelée sa réalisation, redonne une vigueur adulte au cinéma hollywoodien tel qu’on l’aimera à tout jamais.

 

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