Total Eclipse of the Heart

Actualité du 03/09/2022

Dans Ava une adolescente se découvre une maladie de l’iris qui la condamne à la cécité. Dans une station balnéaire du Médoc, l’adolescente vit ses ultimes vacances ensoleillées, doublées d’un éveil à la sensualité, aux côtés d’une mère délurée, un gitan en cavale et un mystérieux chien noir. De la mer vers la montagne, de l’été à l’hiver, de la vue à l’odorat, des fantasmes au fantastique.., cinq ans après Ava, Léa Mysius signe Les Cinq Diables.

Situé dans une commune alpestre aux frontières de l’hiver, son second opus s’attache à Vicky (Sally Dramé), dont la mère (Adèle Exarchopoulos) est maître nageur à la piscine municipale et le père (Moustapha Mbengue), pompier professionnel. Dotée d’un odorat surdéveloppé, la fillette subtilise des objets personnels nécessaires à des concoctions qui lui permettent de sentir jusqu’à revivre le passé de son entourage. De snif en snif, Vicky remonte aux origines de sa naissance. Son enquête dans les souvenirs prend une nouvelle envergure à l’arrivée de sa tante Julia (Swala Emati), la sœur de son père.

Les Cinq Diables n’est pas sans analogies avec Trois jours et une seule vie. Adapté d’un roman de Pierre Lemaître, le film de Nicolas Boukhrief (2019) examine la chape de silence qui, suite à un fait divers tragique, pétrifie un village forestier. Au cœur de la commune encaissée dans les rocheuses, Vicky discerne peu à peu ce qui se cache derrière ce qui ne se dit pas. Aux Cinq Diables, certaines nagent dans le lac glacé pour conjurer le froid qui ankylose les corps et les sentiments, d’autres brisent le mutisme par des grimaces, des sous entendus laconiques ou des initiatives incompréhensibles. Alors que tonne la voix râpeuse de Bonnie Tyler et son Eclipse Totale du Cœur, chacun traduit à sa manière les symptômes de ce que Léa Mysius définit comme des histoires de vies manquées.

La réalisatrice décortique ce monde du silence au fil d'un conte fantastique, doublé d’un fable sociologique qui enracine le politique dans l’intime. Coscénariste d’Arnaud Despleschin (Les Fantômes d’Ismaël 2017, Roubaix, une lumière 2019) et de Jacques Audiard (Les Olympiades 2021), Léa Mysius confirme sa science de l’écriture et son art de la mise en scène. Dans ses priorités visuelles, la réalisatrice s’appuie sur une distribution de premier ordre. Sally Dramé et ses grands yeux noirs, Moustapha Mbengue massif et impénétrable, Adèle Exarchopoulos au visage interdit, souvent submergé, Daphné Patakia à moitié défigurée, contribuent à cette fable tournée à l’ancienne, en 35 mm, pellicule qui assouvit les contrastes et ménage les zones d’ombre.

Dans le sillage de Grave (2016) et Titane (2021-Julia Ducornau), La Nuée (2020-Just Philippot), Les Garçons sauvages (2017-Bertrand Mandico) Les Cinq Diables apporte sa pierre à une école fantastique française qui, loin de les reproduire, assimile les références et révèle son époque à travers une imagerie, dont la fantasmagorie et les extravagances n’excluent ni la perspicacité ni la conscience.

 

 

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