Tout pour la musique

Actualité du 24/06/2023

Les cinéastes tchèques affectionnent les musiciens d’exception. Grâce à Amadeus (1984), Milos Forman hissa Mozart au rang d’icône populaire. Trente huit ans ans plus tard, avec Il Boemo, son compatriote Petr Vaclav tire de l’oubli Josef Myslivecek, né à Prague en 1737, décédé à Rome en 1781.

Dans les deux films, les frasques du romanesque prennent le pas sur la minutie de la biographie. Adapté d’une pièce de Peter Schaffer, Amadeus confronte le talent au génie, via Salieri, compositeur de cour, subjugué-terrassé par les fulgurances du jeune Wolfgang. Il Boemo, lui, s’écrit sur une page quasiment vierge. En effet, il existe peu de traces sur l’itinéraire de Myslivecek et il fallut attendre 2013 et la production de L’Olimpiade, opéra dirigé par le chef Vaclav Luks, pour appréhender l’envergure de cet artiste qui signa, entr’autres, 85 symphonies et une trentaine d’ouvrages lyriques.

Il Boemo est un transfuge, thème récurrent chez Petr Vaclav, comme en témoignent Marian (1996) puis Zanetta (2013), calvaires d’un adolescent et d’une adolescente tziganes, livrés à eux-même dans une Tchécoslovaquie peu hospitalière à l'égard des étrangers. Fils d’un riche meunier, Josef Myslivecek (Vojtéch Dyck) tourne le dos aux minoteries puis abandonne sa part d’héritage, pour se consacrer à la musique. En 1763, au terme de ses études, le jeune homme prend la direction de l’Italie, à l’époque creuset de la création lyrique. De Venise à Naples, la carrière de Myslivecek est jalonnée par des relations amoureuses, qui composent un état des lieux de la condition féminine au XVIIIème siècle.

Surnommé Il Boemo car son patronyme est définitivement imprononçable, Josef devient le maître de musique de la jeune Cornelia (Federica Vecchio), prête à tout pour échapper à un mariage arrangé. Une méprise le met en relation avec Marchesa (Elena Radonicich). La courtisane lui présente un imprésario d’influence. Il décroche une audition auprès de Caterina Gabrielli (Lana Ronchi), diva qui lui confie sa voix et lui ouvre ses draps. Sa liaison la plus chaste et la plus profonde, le musicien la partagera avec Lana Vlady (Anna Fracassati), mariée à un aristocrate jaloux, endémique jusqu'au dangereux. Enfin il contractera la syphilis, dans les bras de sa servante ambitieuse et pragmatique (Chiara Celotto).

Tourné dans des lieux repérés aux quatre coins de la péninsule italienne, le film associe splendeurs décoratives et détails documentés, telle l’ambiance des théâtres, où, sous fond d'arabesques vocales, les loges tenaient du salon, de la table ouverte, voire de l’alcôve. L’arrogance des puissant touche à la plus crasse bêtise, lors de la visite du roi de Naples, dans la loge du maestro.

En sus du destin édifiant d’un artiste, conscient que la rigueur classique lézarde les mignardises baroques, Il Boemo puise sa singularité dans le dosage méticuleux entre les affects romantiques, les lustres esthétiques et l’observation vériste. Le brassage culmine lors des séquences musicales. La restitution scrupuleuse des arias, sous la direction de Vaclav Luks, nous place au plus près de la Gabrielli-Barbara Ronchi. Bien que doublée par Raffaella Milanesi, l’actrice traduit la sidérante transfiguration d’une interprète qui soumet sa respiration, à la fois aux sinuosités de la modulation et au désir d’incarnation. Cette célébration de l’effort et l’abnégation, au service de la beauté, enrichit encore la découverte de ce talent méconnu, qui appréciait les femmes mais vénérait la musique jusqu'à son dernier souffle, au-delà de toutes les ambitions.

A un moment Il Boemo croise un gamin nommé Mozart. Si, dans Amadeus, il remet d’aplomb une partition de Salieri, chez Vaclav, le prodige s’approprie une ouverture de Myslivecek, qu’il réutilisera, sans y toucher, dans Mitridate, son premier opéra. Un hommage qui couronne Il Boemo, fresque musico-romantique, entre l’hagiographie crépusculaire, l'édifice d’une passion et la célébration d’une intégrité.

Par ailleurs, Il Boemo nous signale qu’en ces temps là, une diva était mieux rétribuée qu’un chanteur et plus encore qu’un auteur. Comme quoi et en dépit de révisionnismes ambiants, il y a toujours à apprendre du Siècle des Lumières.

Photographies: Nour Films.

 

Retour à la liste des articles