Ça se passe dans un village du Jura. Une terre d’élevage où les journées sont longues, les week-ends et les vacances hors-champ. Les habitants ont peu d'espace pour eux et pas plus de temps pour trouver les mots. En conséquence, les différends se règlent avec les poings, l’amitié relève d’une bonté laconique. Les affinités se devinent l’espace d’un trajet en tracteur ou l’étrenne d’un verre d’eau. Dans l’intimité, la panne découle de la fatigue et Tu sens la vache, semble issu d’un singulier (et délicieux) bréviaire amoureux.
Ce terroir et son humanité, Louise Courvoisier les connaît bien. La jeune réalisatrice est née d’une mère germano-canadienne et d’un père helvète. Lassé par l’enchaînement des tournées, le couple de musiciens (par ailleurs auteurs de la bande originale) se pose dans une ferme jurassienne, dépourvue d’eau et d’électricité. Là, Louise, ses frères et sa sœur (créatrice des décors) vécurent leur jeunesse.
Quoi de plus naturel que Vingt Dieux, son premier long-métrage, s’inscrive au cœur d’exploitations artisanales, synonymes de rudes astreintes et autres dilemmes de transmission. Mais, à la tragédie vériste façon Au nom de la terre (Edouard Bergeon 2019), la bande opte pour la fable, dans les brisés de Petit Paysan (Hubert Charuel 2017), Terre des hommes (Naël Marandin 2020), La Nuée (Just Philippot 2020). Autant de titres où la servitude paysanne s’exprime à travers des codes de genre : thriller mental, western, anticipation écologique.
Dès son ouverture, Vingt Dieux réveille le souvenir des échauffourées bucoliquo-enfantines de La Guerre des boutons (Yves Robert 1962). A ceci près que, à peine débarrassé de son acné, Totone (Clément Favreau, à l’origine éleveur de poulet) se retrouve, lui et Claire sa petite sœur (Luna Garret mutine et magnétique), sans père et sans le sou. Pour sa part, flanquée de ses deux frangins, Marie-Lise (Maïwenne Barthélémy authentique agricultrice), apparaît toute aussi gamine, bien qu’à la tête d’un domaine de 150 hectares.
La suite tourne autour d’un fromage : réfection du chaudron, obtention du lait (qui sent la fleur), fourniture de la présure, plus quelques tours de fabrication. L’affinage d’une meule de Comté coagule plusieurs registres, du rituel de deuil au stratagème marivaldien. Sans s’étendre ni se précipiter, Louise Courvoisier décortique un atavisme, relate un passage, déroule une initiation. Sa concoction est salée de spontanéité, piquée de cocasserie, pigmentée de suspense, mouchetée d’émotions.
A l’image de la macération du laitage, le dosage est décisif et la manière prépondérante, tout au long de cette aventure tonique, où des garçons et des filles se houspillent, se reniflent, se soudent et, enfin, se résolvent à ne pas cesser de s’aimer.
L’on remarquera, pour conclure, que Vingt Dieux, expression qui nomme le film et ferme chaque fin de phrase, du côté des Lons-le-Saunier, est totalement effacée des dialogues. A l’évidence et par delà ses talents de filmeuse, Louise Courvoisier maîtrise aussi l’art de la coquetterie.
Références : interview de Louise Courvoisier dans Le Monde du 11 décembre 2024 et Positif-décembre 2024.
Photographies : Pyramide Distribution.