Tragédie sous éoliennes

Actualité du 15/03/2023

Sur une route, se discerne une silhouette, un épouvantail s’avance, jusqu’à un café où, après avoir tombé leur masque, le jeune Laureano et trois de ses camarades endurent une initiation brève et brutale. Rendus à l’extérieur, ils se lancent dans une traque féminine qui les mène, avec l’acquiescement de la mère, jusque dans la chambre de leur proie.., qui réussit à s’échapper. Rendu responsable de l’échec, Laureano, roué de coup, s’effondre sur le chemin du retour.

Sidérant préambule à l’issue duquel l’image s’élargit du format panoramique 1,66 à la plénitude 1,1 du cinémascope. Le temps a passé. Solitaire, ralenti, Laureano (Albano Jeronimo) vit avec ses chiens en bordure du village où résident toujours ses tortionnaires, respectivement chef de la police, directeur d’un abattoir et affairiste immobilier.

S’amorce une longue exposition qui, à travers les habitants et leur modus vivendi, découvre le fonctionnement autarcique de cette enclave ceinturée d’éoliennes. Puis un adolescent sans vie est retrouvé, à son tour, en bordure du village.

Signé Tiago Guedes, homme de cinéma et de théâtre, attaché notamment aux textes de Peter Handke et Dennis Kelly, Traces est co-écrit par Tiago Rodrigues, dramaturge et nouveau directeur du Festival d’Avignon. Unités de lieu et de temps, caractères surdéterminés, il n’y a rien d’étonnant à ce que les caractères et les conflits se fondent sur les préceptes de la tragédie.

Pouvoir patriarcal, violence viriliste, une emprise hégémonique se détaille au fil de plans séquences qui donnent à ressentir le modus vivendi d’une bourgade plus proche d’une communauté sectaire que du havre apaisé. Écrasant jusqu’au schématisme, le panorama à charge se complique, pourtant, en lien avec les comportements de certaines habitantes.

Autrefois pourchassée, Judite (Isabel Abreu) prend soin de Laureano puis participe aux manœuvres qui s’ourdissent autour du désigné bouc émissaire. Étrange attitude que celle de la jeune Salomé (Leonor Vasconcelos) lors d’une répétition à l’intérieur de l’église. Peu à peu se révèlent les accords tacites qui fédèrent les sexes et les générations, autour d’un immobilisme atavique et l’aversion de l’intrusion.

Plus haut, les pales des éoliennes fouettent et barrent l’horizon. En bas, on se calfeutre dans des usages et des rituels sans âge, ni avenir. Au même titre que le mythe d’Iphigénie, adapté par Tiago Rodrigues et créé dans une mise en scène d’Anne Théron, lors du Festival d’Avignon 2022, dans ces Traces du vent (titre original du film) c’est l’innocent qui est sacrifié.

Tel est l'un des enseignements de cette parabole à la fois tragique et mystérieuse, puissante et déconcertante.

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