Trois sœurs dans la montagne

Actualité du 29/03/2025

 

En 1978, le Festival de Cannes décerna sa Palme d’or à L’arbre aux sabots. Dans son huitième opus, Ermano Olmi (1931-2018) ressuscitait sa Lombardie natale à la fin du XIXème siècle, au cœur d’un hameau regroupant cinq familles de métayers. Retour aux racines, contexte historique, narration saisonnière, approche picturale.., Vermiglio se réapproprie certains déterminants de la fresque du maître bergamasque.

Signe particulier, ici, ce n’est plus le prêtre qui, dans le film d’Olmi, exerce une autorité éclairée, subtile posologie entre croyance et connaissance ; mais César l’instituteur (Tommaso Ragno) qui éduque les petits, alphabétise les grands et professe l’équilibre entre la souplesse du corps et le tonus de l’esprit.

Donc, hiver 1944 à Vermiglio, village du Trentin Haut-Adige, d’où est originaire le père de Maura Delpero, la réalisatrice. Alors que les hommes vaillants sont toujours à la guerre, la communauté accueille Pietro, un déserteur (Giuseppe De Domenico). Jeune et valide, le transfuge attise l’attention de Lucia (Martina Scrinzi), la fille aînée de César. Ada la cadette (Roberta Rovelli), observe l’éveil des sens mais préfère l’insolence de Virginia la sauvageonne (Carlotta Gamba). Considérée par son paternel comme la plus éveillée et dès lors, la plus apte aux études, Flavia (Anna Thaler) glisse sa menue silhouette sous des meubles requalifiés en postes d’observation.

 

Une plume dans un lit, une clé sous le tapis, un moment de joie entre le mur et une armoire, alors que la mère se résigne à son assignation reproductive, le père, chemise immaculée, coiffure impeccable, règne sur un foyer surpeuplé (sept enfants) où les sphères intimes se partagent des centimètres carrés.

Outre cette minutieuse topographie de la promiscuité, Maura Delpero déroule sa chronique via le regard des trois sœurs. A l’espièglerie enfantine de Flavia répondent les affects plus troubles de ses devancières. Au sein de cette compagnie, tellurique dans ses activités, minérale dans sa communication, Maura Delpero, observatrice pointilliste, décortique les murmures, scrute les attitudes, expose des décisions où l’émancipation adopte des voies paradoxales mais non dépourvues de pertinence.

Éclairée par Mikhaïl Kritchman, virtuose des couleurs froides, chef opérateur de Andreï Zviaguintsev (Faute d’amour 2017, Leviathan 2014...), cette étude pastorale impose sa metteure en scène parmi les éminents paysagistes de l’âme, à même de cerner les échos entre l'âpreté des paysages et la rigueur des caractères. Outre Zviaguintsev et l’inévitable Michelangelo Antonioni (1912-2007), l’on songe encore à l’anatolien Nuri Bilge Ceylan, qui dans Les Herbes sèches (2023), portraiture un maître d’école, descendant lointain du patriarche de Vermiglio, plus attentif aux postures vaniteuses qu’aux vertus libératrices de l’enseignement.

Lors du dernier Festival de Venise, Maura Delpero décrocha le Lion d’argent de la mise en scène. Le moins que l’on puisse constater, est que la récompense est amplement justifiée.

Photographies : Cinédora

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