Tue la lumière

Actualité du 02/08/2025

 

Prix Spécial du Festival de Cannes, attribué en 2024 aux Graines du figuier sauvage de Mohammad Rasoulof, Palme d’or décernée en mai dernier à Jafar Panahi et Un simple accident ; depuis la fin des années 80, le cinéma iranien occupe une place enviable au sommet des grandes manifestations cinématographiques internationales.

Le Septième Art iranien répartit ses talents en deux catégories. La première et la plus conséquente, réunit des cinéastes qui, en dépit des entraves et intimidations, refusent l’exil. Figurent dans cette section : Jafar Panahi, Asghar Farhadi (double Oscar du film étranger en 2012 et 2016 pour Une séparation et Le Client), Saeed Roustayi (La Loi de Téhéran 2019, Leila et ses frères 2022), Mohammad Rasoulof, réfugié en France depuis juin 2024.

La seconde est constituée par des expatriés, tels Ali Abbasi, installé au Danemark et auteur des Nuits de Mashhad (2022), Zar Amir Ebrahimi, naturalisée française en 2017, actrice et coréalisatrice de Tatami (2023). Alireza Khatami entre dans cette classification.

Canadien d’adoption, ce dernier, avec son compatriote Ali Asgari, cosigne en 2023 Chroniques de Téhéran. Constitué d’une succession d’entretiens captée en plans séquences, ce film de dispositif dissèque la façon dont un système de dominations innerve les sphères intimes. The Things You Kill, son nouvel opus, décortique un autre processus de contamination.

Le film s’ouvre sur une image floue suivie d’une injonction énigmatique : Tue la lumière. Puis le point s’effectue sur Ali (Ekin Koç). Après quatorze années aux États Unis, l’universitaire quadragénaire revient au pays où il retrouve sa mère en très mauvaise santé. Son décès accidentel, pousse le fils à accuser de maltraitance son père (Ercan Kezal), avec lequel il entretient des rapports calamiteux.

 

Contentieux familial, poste menacé, incapacité de donner un enfant à son épouse (Hazar Ergüçlü) ; pour mettre à distance les désagréments, Ali se réfugie dans le verger qu’il tente d’entretenir au cœur d’une plaine aride. Sur place, il lie connaissance avec Reza (Erkan Kolçak Köstendil), un réfugié syrien qu’il engage comme jardinier. L’apparition de ce nouveau personnage annonce une volte face narrative qui bascule le drame familial vers une imbrication insolite, voire un récit mental.

Conduire au-delà ; la brève analyse étymologique de verbe traduire, livre l’une des clés du projet. Ancien assistant de Asghar Farhadi, Alireza Khatami a beaucoup appris de ce virtuose du récit, rompu à l’alchimie des genres. Ainsi Ali et ses tourments obliquent soudain dans une spirale schizophrène où le spectre du père perturbe le deuil maternel.

Tourné en Turquie, où la corruption endémique et la prééminence masculine n’ont rien à envier au régime des mollhas, The Things You Kill glisse de l’extérieur vers l’intérieur et se clôt sur un coup de théâtre qui, loin de l’éclairer, creuse encore l’énigme. Méthodique, cérébral, volontiers malin, Alireza Khatami tue la lumière au fil d'une histoire de fou ancrée dans une imparable réalité.

Décidément les filmeurs iraniens sont de redoutables sorciers de la narration.

 

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