Un film mythologique signé par un réalisateur d’origine italienne, voilà qui réveille le souvenir des péplums usinés en série, dans les années 60, du côté de Cinécittà. Mais les apparences sont parfois trompeuses.
Ainsi, bien qu’il n’entretienne aucun lien de parenté avec le sulfureux et parfois visionnaire, Pier Paolo Pasolini (1922-1975), Uberto Pasolini figure parmi les neveux de l’aristocrate Luchino Visconti (1906-1976), immortel auteur du Guépard (1963).
Installé à Londres, producteur comblé de The Full Monty (Peter Cattaneo 1997), croisement astucieux de feel-good comedies et de chroniques sociales façon Ken Loach, Pasolini est l’auteur, entr’autres, d’Une belle fin (2013) et Un endroit comme un autre (2020). Le dessin des personnages et l’attention adressée aux interprètes caractérisent ces deux titres, teintés par une dilection assumée pour la méticulosité et le mélodrame.
Pour son adaptation de La Vengeance d’Ulysse, troisième et ultime volet de L’Odyssée composée par ce cher Homère, Pasolini convoque le dramaturge Edward Bond (1934-2024), auteur des Pièces de Guerre, épopées dystopiques créées lors du Festival d’Avignon 2024 sous la direction d’Alain Françon.
La fresque se transporte au sein d’un peuple de pêcheurs, lointains aïeuls des protagonistes de La Terre tremble, sommet du cinéma néo-réaliste, livré en 1948 par zio Luchino. Donc dans The Return, pas de batailles.. homériques ni de colonnades en stuc au pied desquelles des culturistes en jupettes veillent sur des starlettes aux prometteurs décolletés. Les premiers plans annoncent la tonalité. Échoué sur le rivage, le vestige d’un esquif suggère un naufrage. En l’occurrence celui du navire d’Ulysse, à quelques encablures de son royaume d’Ithaque.
Tourné sur les rives et hauteurs de l'île de Corfou, où accosta le héros de L'Odyssée, le récit de revanche accommode vérisme et dépouillement. Alors que les paysans survivent dans les fourrés, tout là-haut dans le château, venus des quatre coins de la Mer Ionienne (comme le suggère une distribution très métissée), les prétendants rongent leur frein dans un opaque hémicycle, éclairé par un vaste feu de bois.
Cloîtrée dans ses appartements, Pénélope gagne du temps. Dans l’attente du roi, imperméable aux impatiences, la reine tisse et détisse sa tapisserie, Tel un chien fou, Télémaque son fils (Charlie Plummer), oblitère ses chances de survie en conspuant ses éventuels beaux-pères.
Tout cela sonne âpre, déconstruit et en fin de compte un peu fauché. Mais Pasolini a plus d’un tour dans son carnet d’adresses. Outre la bienvenue Angela Molina, nourrice silencieuse, près de trente ans après Le Patient anglais (1996), le bonhomme réunit à nouveau Juliette Binoche et Ralph Fiennes.
Pendant que la première dose à sa main l’inquiétude et la majesté, le second s’offre une performance à ses mesures. Vêtu d’une vétuste couverture ou dans le plus simple appareil, l’acteur met sa carcasse sexagénaire (mais fort bien conservée) au service du guerrier épuisé. Timbre grave, regard profond, silences solennels ; jouer Ulysse façon Shakespeare, l’on peut se le permettre lorsqu’on a été Marc Antoine, Prospero et Richard III.
La rutilance kitsch d’autrefois s'estompe face aux ténèbres élisabéthaines. Dans The Return, le soleil brille et l’on crève de froid. Mais Ulysse is back ! Sous les yeux de son épouse décomposée mais stoïque, il est le seul à bander… son arc, à propulser sa flèche à travers tous les orifices. Par la suite ça ferraille et ça saigne comme chez William. La vengeance est assouvie, le trône restitué. A l’unisson des péplums d’autrefois, les gentils finissent par triompher.
Pourquoi (re)viens-tu si tard ? Si la question assombrit l’épilogue, le générique final se déroule dans l’alacrité. Car l’on s’extrait de la fraîcheur du ciné, avec la certitude réconfortante que dans les vieux pots se mitonnent encore des mets, déconcertants dans leur recettes et néanmoins goûteux par leurs aux saveurs. Bref des plutôt bons films.
Photographies : Maverick Distribution
