Justin Kemp a-t-il bu le verre qu’il a commandé ? Plus tard dans la soirée, la vision embuée par l’orage (et peut-être embrumée par l’alcool), a-t-il mortellement heurté un jeune femme qui courait sur le bord de la route ?
Toujours est-il que le trentenaire se retrouve au tribunal. Pas sur le banc des accusés mais au cœur du jury, chargé de statuer sur le cas James Sythe (Gabriel Basso). Celui-ci est accusé d’avoir, au volant de son automobile, précipité au bas d’un pont, sa compagne avec laquelle il s’était violemment disputé dans le bar où, ce soir là, Justin fixait sa consommation.
L’Inspecteur Harry (Don Siegel 1971), José Wales Hors-la-loi (1976), Jugé coupable (1995), Mystic River (2003).., l’exercice de la justice, entre verdict légal et sanction morale, innerve la carrière de Clint Eastwood, l’acteur et le réalisateur. Sorti en 2009, Grand Torino, scella les adieux entre la star et les flingueurs-redresseurs de tort.
Par la suite, le cinéaste, désormais nonagénaire, nourrit son inspiration auprès des héros ordinaires. A cet effet, de Sully (2016), pilote de ligne qui sauve son Boeing, puis se voit accusé d’erreur de pilotage, au Cas Richard Jewell (2019), du nom d’un vigile qui, lors des jeux olympiques d’Atlanta (1996) déjoue un attentat avant d’être traité comme un poseur de bombe ; ses derniers titres mobilisent bon nombre de procureurs et d’avocats.
Comme son titre l’indique, Juré n°2 est un film de procès, au cours duquel un possible coupable doit se prononcer sur la culpabilité d’un peut-être innocent. Aussi improbable soit-il, le prétexte arbore un incontestable potentiel dramatique.
Dans un premier temps, Kemp, interprété par Nicholas Hoult, silhouette longiligne, regard souvent effaré façon… Clint Eastwood, se pique de repentance et tente d’infléchir une majorité favorable à la condamnation. Toutefois, le profil de l’accusé et les points de vue de certains jurés, tempère sa détermination. De son côté, la procureur (Toni Collette) voit dans cette affaire exemplaire le marchepied vers son élection à la tête du District. Mais l’enquête (non réglementaire) menée par l’un des jurés (J.K. Simmons), instille un doute dans son appréhension.
Clubs de jazz enfumés (Bird 1988), saloons miséreux (Impitoyable 1992), salles de boxe miteuses (Million Dollars Baby 2003), révélatrices de dilemmes tortueux et d’esprits tourmentés, les lumières sombres constituèrent pendant des décennies, l’un des marqueurs de la griffe Eastwood. Pourtant et au diapason de ses derniers opus, Juré n°2 baigne dans une cristalline ligne claire : au sein du tribunal, institution immuable ou dans les alentours d’une communauté, en apparence soudée et sans histoire.
Plus on apprend, plus on ne sait rien. Le vers de Jacques Lanzmann (1927-2006) résume à merveille ce thriller de prétoire qui détraque les déductions, brouille les délibérations, embarrasse les sphères intimes. En contrepoint de la prêche humaniste attendue, le conteur malicieux creuse une complexité insondable, polyphonique et ô combien humaine. Juré n°2 se clôt sur un champ-contrechamp entre deux visages, l’un effaré, l’autre déterminé. A priori, la Justice va triompher. Mais, qui sait ?
L’on n’en attendait pas moins de la part du vieux sage, trésor vivant du 7ème Art, chantre d’un classicisme pourvoyeur d’une pensée iconoclaste, qui, jusqu’au bout d’une carrière frappée du sceau de l’indépendance, ne cesse de jauger les émotions et d’interpeller les convictions. Voilà un testament bien retors et sibyllin. Sacré Clint !
Photographies : Warner Bros Pictures.