Un fils idéal

Actualité du 20/08/2025

 

Tout commence par une mauvaise chute sur un terrain de sport. En guise d’excuses, Wei (Lin Muran), responsable de la blessure, invite Shuro (Sun Xilun) à partager sa console vidéo. Dans les hauts quartiers, le lycéen découvre l’appartement high-tech de son nouveau copain. Au fil de ses visites, Shuro lie connaissance avec les parents de Wei, peu à peu séduits par sa politesse et sa discrétion.

Ayant suivi des études de biologie, j’ai toujours été fasciné par l’idée que le monde de l’infiniment petit tend souvent un miroir au monde de l’infiniment grand. Dans ce film, j’étudie une famille en tant que cellule vivante.. . Mais aussi comme l'entité d’une société en pleine mutation qui, inévitablement, façonne la mentalité et les sentiments de ses habitants.

Titulaire d’une licence en bio-informatique, Jianjie Lin résume ainsi son premier long-métrage. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que des vues extraites d’un microscope ponctuent le récit. Dans ces inserts biologiques, des globules s’entortillent avec des cellules, sans que l’on distingue la victime et l’envahisseur. La même ambivalence entoure A Brief History of a Family.

Docteur en biologie, épris de musique classique et de calligraphie, le père de Wei (Zun Feng) apprécie la curiosité studieuse de Shuro. Ex-hôtesse de l’air, désormais épouse exemplaire, la mère (Guo Keyu) entrevoit, par l’irruption furtive de l’adolescent, une brèche dans son ennui. Les deux perceptions dessinent le profil d’un fils idéal en rupture avec l'aphasie arrogante de leur rejeton naturel.

Quant’à Shuro, il se proclame orphelin de mère, violenté par un père alcoolique, sans que, ni ses nouveaux protecteurs ni le réalisateur, ne s’inquiètent de la véracité de ses assertions.

Car Jianjie Lin se cantonne à l’étude clinique, découpée en une succession de plans conçus dans une ascèse minutieuse. Seules les interventions caverneuses et fulgurantes du compositeur Toke Brorson Odin, soulignent les menaces transgressives qui accompagnent la gestation d’un noyau familial d’une espèce inédite.

Cependant, à contre-courant de la proclamation formaliste qui caractérise et limite bon nombre de premiers films, A Brief History of a Family utilise sa maîtrise d’écriture, son accomplissement formel comme carburant d’un pamphlet politique aussi insidieux que vigoureux.

Situé quelque part dans une grande métropole chinoise, l’intrigue se déploie dans un microcosme au luxe aseptisé, propre aux capitales de la finance et autres monarchies pétrolières. En Chine communiste, dans des oasis d’art et de design, le futur des élites se forge via les meilleures universités américaines. Nous voilà très loin de la Révolution Culturelle et du Petit Livre Rouge.

Jianjie Lin livre la peinture d’une société à plusieurs vitesses. L’hygiénisme de haut vol contraste avec les dortoirs insalubres et les ateliers crasseux où s’affairent la Jeunesse portraiturée dans la dernière fresque documentaire de Wang Bing (2024), Son thriller domestique se tient à bonne distance des arrière-pays en friche, où se tournent certains polars et films d’action, dont le récent Black Dog (Guan Hu 2024) ou Only the River Flows (Shujun Wei 2023) et encore Des feux dans la plaine (Zhang Ji 2021), sorti en juillet dernier.

Tout est pointé mais rien n’est nommé dans A Brief History of a Family.  À l’origine de l’asthénie familiale, la Politique de l’Enfant Unique, en vigueur de 1979 à 2015, est brièvement mentionnée. La motivation de Shuro, les projets de sa famille putative, la nature des accès de fureur de Wei, restent à l’appréciation des regardeurs.

Il n’est point question de paresse narrative mais plutôt de la marque d’une intelligence insidieuse et perfide. Non seulement ce coup d’essai s’inscrit comme une référence du cinéma d’entomologiste mais il se double d’un réquisitoire en creux à l’encontre du communisme de marché défendu par le Président Xi et les oligarques du Parti. Dans cette perspective le coup s’avère magistral.

Photographies : Tandem Distribution.

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