Un flacon de djinn

Actualité du 28/08/2022

Indissociable de Mad Max, tétralogie post-apocalyptique exploitée depuis 1979 (un 5ème volet serait en préparation), George Miller est également l’auteur des Sorcières d’Eastwick, fable pré Mee Too tournée en 1987, Babe le cochon devenu berger (1998), Happy Feet 1 et 2 (2006-2012). Gorgés d’effets spéciaux, peuplés d’interprètes humains ou dessinés, ces titres traduisent l’inclination du cinéaste australien pour les contes et le merveilleux. Trois mille ans à t’attendre confirme cet attachement.

Alithéa (Tilda Swinton) pratique la narratologie (étude des structures littéraires), profession en lien avec sa passion pour les récits et légendes qui comblent sa foncière solitude. Mondialement reconnue, l’universitaire voyage beaucoup. Dans un souk d’Istanbul, elle déniche un flacon phalliquement chantourné. De retour à son hôtel, Alithéa détache le bouchon et délivre son occupant : un djinn sculptural (Idris Elba).

Un génie dans une bouteille induit trois vœux et leurs conséquences sur le destin du ou de la bénéficiaire. Ici, Miller s’écarte de la tradition et adopte le point de vue de l’elfe. Face aux hésitations d’Alithéa, celui ci entreprend de raconter sa très longue vie. Tel Shéhérazade, le bonhomme enchâsse les histoires : amoureux transi de la Reine de Saba, Pygmalion de la favorite de Soliman le Magnifique, empereur d’ottoman.., le géant a bien vécu, beaucoup attendu, jusqu'à développer une certaine neurasthénie. Au bout des contes le diseur conquiert son auditrice.

Chaque récit donne lieu à une illustration saturée de couleurs et d’enluminures, dans le sillage des badgaderies made in Hollywood ou Cinécittà. La palette s’adoucit lors du segment londonien où la créature troque le flacon pour le cocon. L’épopée mirifique se dilue alors dans une romance à l’épreuve des masques sanitaires, du train-train quotidien et des ondes électromagnétiques.

Apologie de l’imaginaire, ode au savoir, plaidoyer pour l’oralité et accessoirement confidence autobiographique, Trois mille ans à t’attendre porte la griffe d’un conteur pointilleux, maniériste compulsif, virtuose mélancolique. Mais à l’acrimonie de certaines œuvres de vieillesse, George Miller, bientôt octogénaire, opte pour une fantaisie bigarrée qui n’élude ni la profondeur ni la délicatesse. Nous aimons tous qu'on nous raconte de grandes histoires. Mieux on en a besoin.

Ps: Tilda et Idris sont bien sur (et comme toujours) impeccables.

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