De la moelle à l’oreille

Actualité du 01/12/2024

 

Emmanuel Courcol aime confronter les pratiques artistiques aux milieux difficiles. Dans Un triomphe (2021), un comédien, intervenant culturel dans un centre pénitencier, monte Samuel Beckett et son Godot avec une troupe de détenus. Figure centrale de En Fanfare, un musicien de renom prend sous sa coupe l’orchestre d’harmonie d’une petite commune dévastée par la désindustrialisation.

Le prétexte ravive le souvenir des Virtuoses (Mark Herman 1996), classique du mélodrame social d'outre-Manche, situé dans une petite ville en déshérence, depuis la fermeture des houillères. Mais En Fanfare, se déploie en de multiples facettes.

Qu’on en juge : compositeur et chef d’orchestre de notoriété internationale, Thibaut (Benjamin Lavernhe) apprend qu’il est atteint de leucémie. En vue d’une greffe de moelle, il découvre qu’il est un enfant de l’adoption mais qu’il a un frère biologique, donneur éventuel et compatible. C’est ainsi que Thibaut met le cap au Nord, à Walincourt où réside Jimmy (Pierre Lottin).

Élevé lui aussi par une mère de substitution (Clémence Massart), ce dernier travaille dans une entreprise de restauration collective, d’où il alimente en douce les grévistes de l’usine locale en cours de démantèlement. Dans ses temps de loisir, il joue du trombone dans la clique locale.

Une fois en rémission, Thibaut effectue de nombreux déplacements vers Walincourt, à la découverte d’un frère, d’une mère, d’un destin qu’il ne soupçonnait pas. L’épiphanie progressive s’opère au gré des répétitions (d’Aznavour à Ravel en passant par Verdi) de la formation musicale.

A priori réglée sur du papier à musique, la partition cosignée par Irène Muscari, ménage des embardées qui conduisent l’intrigue vers des destinations inattendues. Ce refus du prévisible embrasse élans intimes, disparités culturelles et déterminisme social.

Ainsi, l’oreille absolue et partagée chambarde la fratrie. Resté en friche chez Jimmy, le don, cultivé dans le contexte familial, fut le socle de la vocation éblouissante de Thibaut. Qu’il soit pour gagner sa vie, fructifier une disposition ou assouvir une passion, l’approche du travail et de l’effort (pas forcément récompensé), sous leurs diverses acceptions, sous-tend cette parenthèse compassionnelle, partagée par deux êtres qui avaient fort peu de chance de se côtoyer.

Si l’orchestre n’est pas toujours au diapason, la troupe reste à l’unisson. Subtilement ciselée, la facture est servie par une impeccable distribution, à commencer par Benjamin Lavernhe pétri d’une délicate autorité et Pierre Lottin tout en gouailleuse élégance. Sarah Succo, explosive et persévérante, Clémence Massart, patronnesse du jambon-beurre, Jacques Bonnaffé, truculent et fataliste, participent à cette harmonieuse broderie où s’entremêlent au son de Clifford Brown ou Dalida, la beauté et la rengaine, la fraternité et l’indignation et, par dessus tout, l’art et la politique. Ce qui, n’en déplaise à certains, relève de la plus impérieuse nécessité et de la plus simple évidence.

Photographies : Diaphana Distribution.

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