Une jambe poilue dans un requin mort

Actualité du 25/12/2025

 

Dans Portraits fantômes, documentaire diffusé en 2023, Kleber Mendonça Filho revisite son enfance et son entrée en cinéphilie ; chez lui et dans les grands cinémas de Recife, sa ville natale, capitale du Pernambouc, l’un des états fédérés du Brésil.

De cette compilation minutieuse de vues intimes, de témoignages et d’extraits d’actualité, s’échappe une douce et pittoresque nostalgie. Or, en ce temps-là, fin des années 70-début des années 80, le pays vivait sous le joug d’une dictature militaire. Contretype de Portraits fantômes, L’Agent secret livre une vision plus âpre et dangereuse de la période d’apprentissage.

Brésil 1977, une station service au milieu de nulle part. Recouvert d’un carton, un cadavre gît sur le terre-plein, Une Coccinelle-Volkswagen s'immobilise devant l’une des pompes. Sur la route circule une voiture de Police. A l’évidence l’intérêt des pandores se concentre moins sur le gisant que sur l’automobiliste.

De ce suspense en acmé, suintent la corruption, la paranoïa, l’insécurité inhérentes à l’époque. Déjà perceptible dans les Bruits de Recife (2012), le précipité de silence et de menaces renvoie à l’inquiétude insidieuse qui enveloppe Assaut (1976) et La Nuit des masques (1978), deux titres signés John Carpenter, l’un des filmeurs de chevet de Kleber Mendonça Filho.

Passé le lever de rideau, place à l’exposition. Le conducteur de la voiture jaune revient à Recife. Marcelo (Wagner Moura) retrouve Fernando son jeune fils confié à son grand-père après la disparition de sa mère. Le gamin rêve de découvrir Les Dents de la mer (Steven Spielberg 1976) qui terrorise les foules dans le cinéma où son aïeul (Carlo Francisco) est projectionniste.

Passé le lever de rideau, place à l’exposition.

Le conducteur de la voiture jaune revient à Recife. Marcelo (Wagner Moura) retrouve Fernando son jeune fils, confié à son grand-père (Carlo Francisco) après la disparition de sa mère. Le gamin rêve de découvrir Les Dents de la mer (Steven Spielberg 1976) qui terrorise les foules dans le cinéma où son aïeul est projectionniste.

Autour du vieil homme et de la truculente Dona Sebastiana (Sebastiana de Medeiros), gravite un petit monde cosmopolite, dont une dentiste (Maria Fernanda Candido) qui ausculte les mâchoires de ses amants ou Hans (Udo Kier), juif, allemand, ancien combattant de la Wehrmacht. Plus loin, le commissaire Euclides (Roberio Diogenes) se félicite des 91 morts provoquées par le carnaval.

Dans un faux commissariat s’enregistre une authentique déposition. Au sein de la mascarade, des tueurs pistent Marcelo. Deux jeunes femmes décryptent des cassettes audios, consciencieusement étiquetées dans leurs boîtes. De temps en temps, un chat à deux têtes traverse le cadre. Une jambe poilue s’extirpe d’un requin éviscéré pour semer l’effroi dans les alcoves nocturnes de la ville.

En fidèle hériter du réalisme magique cher aux écrivains latino-américains, Mendonça Filho multiplie les personnages, amorce des digressions, dans lesquelles le fait avéré se confond avec la légende urbaine.

Les rapports père-fils constituent la pierre angulaire de ce théâtre de l’intranquillité. Et, au troisième mouvement, lorsque les péripéties s’enchaînent, le thème insuffle de la tragédie dans les traques mortifères.

Kleber Mendonça Filho poursuit sa distorsion des genres cinématographiques et livre un film d’espionnage sans espion. Moins languissant que Aquarius (2016), mieux structuré que Bacurau (2019), porté par un Wagner Moura tout en flegme obstiné, L’Agent secret dessine un labyrinthe insolite et chamarré, à l’image d’une nation brésilienne qui, jusqu’à récemment, s’est toujours écartée des autocrates glaçants et arrogants.

PS : Wagner Moura sera présent lors du prochain Festival d'Avignon (4-24 juillet) dans Un ennemi du peuple, pièce de Henrik Ibsen (1828-1906), mise en scène par Christiane Jatahy.

Photographies : Ad Vitam Distribution.

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