Une question d’équilibre

Actualité du 28/06/2022

 

De nos jours en Espagne, des hommes jeunes, d’origine arabe, discutent dans un jardin public. Surgit une bande en mal de ratonnade. La police interrompt le tabassage et embarque les agresseurs. Séquence suivante : de son bureau haut perché, Blanco (Javier Bardem) PDG des Basculas Blanco, annonce à ses salariés des résultats flatteurs et la sélection de la manufacture en finale d’un trophée de la meilleure entreprise.

Du discours émane l'autosatisfaction tranquille d’un manager sans cesse à l’écoute, soucieux du vivre ensemble, pétri de bienveillance à l’égard d’un personnel qu’il assimile à une grande famille. La logorrhée lénifiante est toutefois parasitée par les éclats d’un employé qui, là bas au fond, refuse de vider son bureau. Plus tard sur sa terrasse, le magnat des poids et mesures écoute son jardinier, par ailleurs employé de l’usine et père de l’une des petites frappes interpellées quelques heures auparavant.

Près de 20 ans après Les lundis au soleil, Fernando Leon de Aranoa, revient à la chronique sociale mais déplace son point de vue. Inspiré par la fermeture des chantiers navals de Gijon (Galice) et déjà interprété par Javier Bardem, Los lunes al sol célèbre la dignité bafouée des gens de peu dans le sillon de Ken Loach et Robert Guédiguian. Comme l’indique son titre El buen patron s’attache aux possédants, ici portraiturés dans une sarcastique perspicacité.

 

On pense bien sur à Dino Risi, pas le réalisateur facétieux des Monstres ou du Sexe fou, mais l’observateur désenchanté qui, avec ses complices scénaristes : Sonego, Age et Scarpelli, anime dans Une vie difficile (1961) ou Au nom du peuple italien (1971) une humanité empêtrée dans ses idéaux et ses renoncements.

A l’instar de ses modèles italiens, El buen patron amalgame à merveille l’analyse sociologique, l’étude de caractères et les purs moments comiques (le cerbère de l’usine attaché à la versification des slogans revendicatifs, l’épouse de Blanco et sa manie d’oublier les annonces importantes).

Calfeutré derrière ses lunettes de sachant et son sourire à crispations variables, Javier Bardem se glisse dans le paternalisme matois, de ce décideur rompu aux passe droits, aux petits services, aux renvois d’ascenseur qui relèvent, au mieux du pragmatisme managérial, au pire de la pratique mafieuse. Mais pour Blanco, il ne s’agit pas d’asseoir un pouvoir, d’accrocher un nouvelle breloque sur son mur des vanités mais de préserver une image, une légende plus proches du story-telling que de la gloire méritocratique.

Absorbé par ce leader plus sensible aux reflets de Narcisse qu'aux études de marché, El buen patron déroule un pamphlet méthodique, à l’ironie ajustée. Révoltant et réjouissant, cet équilibre parfait entre en écho avec le fléau qui trône à l’entrée des Basculas Blanco. Mais dans le film de Fernando Leon de Aranoa, il y a pas de tare dissimulée sous les plateaux.

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