Une question d’horizon

Actualité du 05/03/2023

Lorsque, sur un tournage, le chef opérateur lui demandait où placer la caméra, John Ford répondait : En face des acteurs. Dans l’ultime séquence des Fabelmans, le réalisateur, borgne et bon œil, délivre au jeune Sammy (Mateo Zoryan) une master-classe express sur la perspective et la juste place de la ligne d’horizon.

La composition des images, leur ordonnance, constituent le moteur dramatique du nouveau film de Steven Spielberg. A 77 ans, le cinéaste sacrifie à l’exercice introspectif propre aux souvenirs d’enfance.

Back to the beginning ! A l’ouverture des Fabelmans, un couple traîne dans une salle de cinéma, un fils aîné tétanisé à l’idée d’être confronté à des images plus grandes que lui. A la sortie du Plus grand chapiteau du monde (1952), le gamin n’aura de cesse de reconstituer sur son train électrique, l’accident ferroviaire filmé par Cecil B. DeMille. Pour préserver le coûteux jouet, son père (Paul Dano) lui offre une caméra super 8, afin qu’il fixe le déraillement, une fois pour toutes, sur la pellicule.

A la fois moyen d’expression, d’affirmation voire de rétorsion, l’appareil devient le troisième œil de l’enfant puis de l’adolescent, solitaire jusqu’à l’introversion. Dès lors, le regard de l’objectif agit comme un révélateur au monde autant qu’il introduit un grain de sable dans les mécanismes familiaux. Intarissable sur les performances des transistors, Burt Fabelman ne vit que pour ses recherches d’ingénieur électronicien. Pianiste prometteuse, Mitzi (Michelle Williams) sacrifia sa carrière pour accompagner son époux et prendre soin de leurs trois enfants. Meilleur ami du père, l’oncle Bennie (Seth Rogen) complète le tableau harmonieux d’un foyer modèle de la middle class, à l’aube des sixties.

Pourtant, en triturant les plans tournés lors d’une partie de campagne, Sammy découvre une lézarde sur le vernis. Par la faille s’échappent la détresse maternelle et les insuffisances paternelles. Plus tard, en Californie, c’est caméra au poing que le collégien pourfendra l’antisémitisme de ses harceleurs.

Dans The Fabelmans, Spielberg raconte sa passion du cinéma. Non par la pratique cinéphile, outre Le Plus grand chapiteau du monde, seul est cité L’Homme qui tua Liberty Valance (1962), sans doute pour préparer l’apparition finale de son auteur (John Ford), mais par l’apprentissage compulsif de la prise de vue et du montage. Sammy bidouille des bandes qui amusent, épatent et, selon l’humeur du filmeur, renvoient des vérités imparables, douloureuses, voire cruelles,

Pour incarner John Ford, Spielberg sollicite David Lynch, né lui aussi en 1946. Choix paradoxal de la part de celui qui rénova les lustres et la puissance écrasante du divertissement hollywoodien, que de convoquer un collègue solitaire, adepte des marges qui, en seulement 10 films, n’eut de cesse de brouiller les perceptions, de pervertir les points de vue.

Le golden boy milliardaire salue le maverick excentrique, en conclusion de ses confidences mélancoliques, sur la magie des images et les servitudes du 7ème Art.

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