Ricardo sacrifie tout à ce qui l’intéresse et ne fait jamais que ce qui l’intéresse.
Barbet Schroeder définit ainsi l’artiste qu’il fréquente depuis quarante ans et qu’il met au centre de son nouveau documentaire. Né en 1954 à Buenos Aires, Ricardo Cavallo vit en France depuis 1975. L’artiste développe une œuvre figurative et foisonnante, charpentée par ce qu’il définit comme L’Imagination active. Dans des grands formats à mi-chemin entre la fresque et la mosaïque, l’artiste fixe des paysages, en un puzzle de gouaches, réalisées sur une multitude de carrés de bois de 30 cm de côtés.
Dans Ricardo et la peinture, Barbet Shroeder suit son ami, des anfractuosités calcaires du Finistère où il réside depuis 2003, jusqu’à son premier atelier, sis au septième étage d’un immeuble à Neuilly.
Durant près de deux heures, Ricardo éblouit la toile par l’ampleur de son œuvre et la richesses de sa palette. Mais le bonhomme se double d’un insatiable regardeur, exégète scrupuleux, analyste limpide de l’histoire de l’art. Il faut l’écouter s’extasier sur l’expressivité des portraits rescapés de la Grèce antique ou souligner l’humanité tapie derrière certaines compositions désincarnées chères aux impressionnistes. Il y a encore ce pontife, saisi par Velasquez, dont le regard inquiet reflète, selon Ricardo, non une sévérité foncière mais l’appréhension à l’égard du futur tableau.
Les êtres passionnées sont souvent des personnes passionnantes.
Au gré de ses récits et autres dissections, Ricardo Carvallo, détaille la manière dont il organise, depuis toujours, son quotidien. Résolus les problèmes de gîtes et de couverts : il a dormi longtemps sur le sol de son atelier. Affublé d'oripeaux maculés ou engoncé dans une veste trop étroite de Countryman, il se dispense de chauffage et simplifie les menus par l'élaboration exclusive de plats à base de riz. Le quidam dégage l’espace maximum pour la peinture, son étude, sa pratique et son appréciation.
Baptisé par son ami cinéaste François des temps modernes, en référence à l’inspirateur des Franciscains et aux Onze Fioretti de François d’Assise (Roberto Rosselini-1950), ce moine soldat s’avère un passeur infatigable, fondateur d’une école d’art qu’il anime gratuitement dans son village de Saint Jean du doigt.
Chez Ricardo tout devient question de ligne de lumière, d’équilibre, de perspective. L’artiste professe un discours érudit dont le flot continuel entretient, non une vanité surplombante mais un humanisme sensible et savant.
Le réalisateur observe et écoute cet ascète effervescent, dans la tendresse et l’admiration. Après s’être attardé sur un dictateur sanglant (Général Idi Amin Dada-1974), un plaideur opaque (Jacques Vergès, L’Avocat de la terreur-2007), un religieux fanatique (Le Vénérable W-2017), l’inlassable octogénaire rompt cette sombre kyrielle par un documentaire solaire, apologie d’un Gai Savoir, source d’une inépuisable vitalité.
L'on remarquera que Ricardo et la peinture célèbre le soixantième anniversaire des Films du Losange, maison de production créée par Barbet Schroeder aux côtés d'Eric Rohmer et Pierre Cottrell. L’on ne pouvait espérer plus belle contribution d’anniversaire.
Photographies : Films du Losange.