Vague à l’âne

Actualité du 22/10/2022

Animal de compagnie, bête de somme, victime expiatoire des égoïsmes humains, Au hasard Balthazar retrace le calvaire d’un âne des Pyrénées. De son propre aveu, Jerzy Skolimowski fond en larmes chaque fois qu’il visionne le film réalisé en 1966 par Robert Bresson. La raison est nécessaire et suffisante pour Eo (Hi-han en polonais), nouvel opus du maître cinéaste.

Le projet endosse l’allure d’un poème picaresque, attaché au trajet d’un baudet, (respectivement interprété par Hola, Tako, Manette, Ettore, Rocco, et Mela) d’un petit cirque polonais, façon Strada de Fellini jusqu’à une vaste demeure italienne où règne une épigone de Catherine de Médicis (inévitable Isabelle Huppert). Au fil des étapes, l’errance relève du documentaire ou de la fable.

Le cinéma du réel s’invite dans certains rapports avec les maîtres. Ces derniers s’avèrent parfois attentionnés : la douce écuyère, contrainte à l’abandon suite à une loi interdisant les spectacles d’animaux, le vétérinaire opposé à l’euthanasie. Mais le plus souvent Eo échoue chez des fermiers et autres prototypes d’humanité inconscients voire imbéciles. La parabole affleure dans les accès de colère et les évasions qui anthropomorphisent l’animal ou lorsque Skolimowski oppose l’âne, équidé de seconde zone, à la fierté rétive des étalons.

Loin des partis pris jansénistes de Robert Bresson, son thuriféraire polonais, qui n’hésite pas à mettre pendant plusieurs années le cinéma entre parenthèses pour s’adonner à la peinture, revendique un formalisme assumé. Enveloppé dans une partition symphonique-bruitiste signée Pawel Mykietyn, l’odyssée de Eo se décline entre le pourpre et l’écarlate, symboles de sang, d’incendie, de colère, de passion.

Contrairement aux dilections classiques de Roman Polanski, son collègue de promotion et ami privilégie un style moins discret qui cahote la caméra pour traduire l’impatience ou la fièvre des protagonistes (Le Départ 1967, Deep End 1970) ou bouscule les chronologies (Le Cri du Sorcier 1978, 11 minutes 2015) afin de marquer les destins ou cerner les névroses. Le héros de Eo n’a que sa placidité et son intelligence naturelle (à contre courant de son image de brêle) à opposer à un monde d’apocalypse, abandonné à la brutalité vénale, à l’ignorance prédatrice. Le propos coule de source mais ici, la métaphore déconcerte, impressionne et parfois bouleverse par son imaginaire sensoriel, son culot permanent et sa liberté sans ambages.

 

 

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