1995 fut une année faste pour Mario Martone. En mai, son film L’Amour meurtri rencontrait les fastes du Festival de Cannes. En juillet, le Festival d’Avignon accueillait sa création de L’Histoire du soldat, adaptation du conte de Charles-Ferdinand Ramuz par Pier Paolo Pasolini.
Dans L’Amour meurtri, suite à la noyade de sa mère, une dessinatrice quitte Rome pour Naples. Nostalgia, nouveau film du dramaturge-cinéaste napolitain, s’ouvre lui aussi sur un retour. Installé au Caire depuis quarante ans, Felice (Pierfranceso Favino) revient dans sa Naples natale. Il sonne à la porte de sa mère qui le reconnaît à peine. Passées les premières effusions, le fils prend conscience d’un crépuscule avancé. Dans l’attente de l’inéluctable, Felice prolonge son séjour auprès de celle qu’il a abandonnée à l’âge de 14 ans. La miséricorde de l’accompagnement se restitue dans une infinie délicatesse, en particulier lors de la séquence du bain, bouleversante Pietà inversée.
Sur le mur de sa chambre, Felice, punaise un plan de la ville. Entre deux visites palliatives, il arpente les ruelles de la Sanità. Au sein de cette enclave de la ville basse, théâtre de son enfance, les souvenirs se réveillent, puis se bousculent. Au fil des déambulations une silhouette émerge : celle d’Oreste, entreprenant, prêt à tout, le meilleur ami d’un ado timide et subjugué.
Cinémascope (2,40) pour maintenant, format carré (1,33) pour autrefois, Mario Martone enchevêtre les temporalités. Dédale d’ombres, empilement de promiscuités, le quartier devient une entité organique. Le long de ses boyaux des silhouettes s’effacent aux premiers grondements des motocyclettes et autres détonations d’armes automatiques. De cette déambulation métaphysique émerge un but : retrouver Oreste.
Faciès de baroudeur pétri de fragilités, Pierfranceso Favino intrigue et fascine dans la peau de cet homme converti à l’Islam, comblé par la réussite et le bonheur.., là bas, si loin de son pays. Après une première heure entre chien et loup, le récit intègre des voies mieux balisées et sans doute plus prévisibles. Inspirée d’un roman d’Ermanno Rea, la trame alterne tragédie biblique pour les conflits intimes et néoréalisme dans l’observation d’une communauté au sein de laquelle, seule l’église protège face aux brutalités mafieuses.
Rompu au théâtre, à l’opéra autant qu’au 7ème Art, Martone jongle avec les genres, les non dits et les ambiguïtés. Nostalgia écoule un pèlerinage mémoriel, une parabole dangereuse, résumés en exergue par une citation de Pier Paolo Pasolini : La connaissance est dans la nostalgie. Qui ne s’est pas perdu ne possède pas.
L'on est heureux de renouer avec Mario Martone avec ce morceau de cinéma complexe et splendide.