Le cas est surprenant. Malgré son succès dans les cinémas en 1988, Beetlejuice poursuivit ses clowneries pendables dans une série d’animation jeune public et forcément aseptisée (près de 100 épisodes entre 1989 et 1992). Il fallut attendre trente six années pour retrouver le bio-exorciste sur grand écran.
Pour l’occasion, il sont revenus, ils sont presque tous là. Michael Keaton se glisse à nouveau dans la défroque de l’arlequin trash. Wynona Rider et Catherine O’Hara reprennent les rôles de Lydia Deetz et sa mère Delia.
Donc le temps a passé, Delia, désormais plasticienne, performeuse et cotée, organise l’installation-obsèques de Charles, son époux dévoré par un requin. Divorcé de Richard, mari infidèle porté disparu au Brésil, Lydia, s’apprête à convoler avec Rory (Justin Theroux), le producteur de son show télévisé à base d’esprits frappeurs. Astrid, sa fille (Jenna Ortega), réprouve cette union et exprime ses réticences auprès du beau Jeremy (Arthur Conti).
Un enchaînement de déboires contraint Lydia de convoquer l’infâme Beetlejuice qui, terré au fin fond du Purgatoire, conserve sa photo dans son atelier clandestin. L’embobineur est toujours aussi facétieux et mal léché. Mais (Me-too oblige) ses mains sont moins baladeuses. Il faut dire qu’après s’être déballée et ré-agrafée, Delores, son ex (Monica Bellucci), ourdit une traque vengeresse.
J’ai perdu les eaux pendant Opération Peur.
Nul doute que les spectateurs marvelisés resteront hermétiques à cette réplique, clin-d ’œil adressé à un film réalisé en 1966 par Mario Bava (1914-1980). Qu’importe Beetlejuice-Beetlejuice s’adresse en priorité à un auditoire dont la culture dépasse le territoire ignare des messageries en ligne.
Flanqué de Alfred Gough et Miles Millar, ses scénaristes, Tim Burton convoque les icones amassées dans son Panthéon intérieur et empile les références d’un réconfortant éclectisme. Ainsi, Barbara Steele, actrice découverte par Bava dans Le Masque du Démon (1961), croise Marie Curie, scientifique radioactive. Le caligarisme à l’origine du cinéma expressionniste alterne avec le souffle funky de Soul Train (émission culte dédiée à la soul afro-américaine). Le Maniac-Cop ravagé cher à William Lustig (1980) traverse Crime et Châtiments, cathédrale littéraire de Dostoïevski. La créature de Frankenstein voisine avec Danny de Vito, inoubliable Pingouin dans Batman : le défi, signé en 1992 par un certain… Tim Burton. La Sorcière sanglante (Antonio Margheriti 1964) Carrie (Brian de Palma 1976), Le Monstre est vivant (Larry Cohen 1974) ponctuent encore les péripéties.
Tout au long de Dumbo, réalisé en 2019 pour la firme Disney, par ailleurs leader mondial des sites de loisirs, Tim Burton oppose l’âpre poésie d’un cirque ambulant au consumérisme concentrationnaire d’un gigantesque parc d’attraction (dirigé par l’indispensable Michel Keaton). Avec Beetlejuice-Beetlejuice, le cinéaste sexagénaire règle leur compte aux séducteurs toxiques, aux artistes perchés jusqu’à l’autisme. Mais par dessus tout, il agonise les thuriféraires de l’audience, les accrocs aux réseaux et autres influenceurs inconscients.., vecteurs assumés d’une ignorance en ligne.
Pourtant chez Burton, point d’aigreur, ni de méchanceté, mais une mélancolie bigarrée, à l’image de Bob, assistant du mauvais génie, dont la tête, réduite et néanmoins inquiète, respire la plus tordante des neurasthénies. Conçu pour un auditoire adulte et éduqué, par l’âge ou par les inclinations (la curiosité n’attend pas le nombre des années), Beetlejuice-Beetlejuice séduit, émeut et emporte par sa nostalgie savante, élégante et débridée.
Décidément, même si ce n’était pas forcément mieux, avant c’était quand-même vachement bien.
Photographies : Warner Bros.