Variables d’ajustement

Actualité du 07/10/2022

Dès leur rencontre Tori (Pablo Schils), béninois de 10 ans et Lokita (Joely Mbundu), son aînée camerounaise se proclament frères et sœurs, une fratrie de circonstance cimentée par une amitié à jamais fusionnelle. Depuis leur débarquement, quelque part en Belgique, Tori a obtenu ses papiers, il est scolarisé. Lokita ne coche pas toutes les cases mais doit réunir 200 euros pour payer l’école des ses frères et sœurs là bas, au pays.

Fidèles à leurs partis-pris : absence de digression, de musique, de commentaire,  Jean-Pierre et Luc Dardenne règlent leur pas sur les deux enfants. D’une soirée karaoké à une serre clandestine, en passant par le sous sol d’une pizzeria, leur itinéraire devient parcours d’apprentissage au fil duquel l’impétuosité, l’endurance de la jeunesse affrontent une vénalité à sang froid.

Entre suspense et calvaire, les films des frères Dardenne s’assimilent le plus souvent à des chemins de rédemption, balisés par une indignation teintée de spiritualité. Déjà perceptible dans leur film précédent : Le Jeune Ahmed (2019) sur un gamin radicalisé, un désenchantement imprime Tori et Lokita, confinés dans les marges et les bas fonds.

 

Certes à un moment il est question d’église, en fin de conte paravent pour un couple de négriers. Esclavagisme est le terme le plus juste pour qualifier les tâches soumises à Lokita, beaucoup plus mal soignée que les plantes qui lui sont confiées. D’un bout à l’autre le facteur humain devient une variable d’ajustement que l’on défraye à minima, dont on abuse à l’occasion et qui s’élimine si nécessité.

Plus que jamais, les Dardenne filment à l’os l’indifférence sauvage, la détermination de Lokita ou le regard solaire de Tori, endurci ? Renforcé ? On ne saura jamais. En l'état il semblerait que le marché ait bien cabossé l’empathie des humains et sérieusement endommagé les propensions d’espérance des frères cinéastes.

Sur une route forestière, une adolescente d’origine africaine arrête une automobile afin qu’on la conduise jusqu’à un hôpital. Mais lorsque la conductrice découvre que la toute jeune femme a un frère, le véhicule démarre sans autre explication. Un destin s’est noué entre un accélérateur et une pédale de frein. Cette séquence emblématique pointe l’apathie honteuse, la compassion sans lendemain qui traverse le film et sans doute le quotidien de bon nombre de ses spectateurs.

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