Que ce soit au théâtre ou au cinéma, l’inclusion de standards musicaux demeure un exercice périlleux. Lorsque, à l’Opéra d’Avignon, Thomas Ostermeier clôt Le Canard sauvage, pièce d’Henrik Ibsen, sur Kashmir, morceau publié il y a un demi-siècle par le groupe Led Zeppelin, il insuffle une puissance lyrique, écrasante, inéluctable à une mise en scène jusqu’alors confite d’académisme.
Créé à la carrière Boulbon, BREL relève d’une autre perspective. La proposition s’apparente à un exercice d’adoration adressé par la danseuse-chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker et l’un de ses anciens élèves Solal Mariotte, au chanteur Jacques Brel (1929-1978).
Alors que un Ça va gigantesque barre la falaise en fond de scène, le spectacle s’ouvre sur Ça va (le Diable)
Rien ne se vend mais tout s’achète / L’honneur et même la sainteté / Ça va / Les États se muent en cachette / En anonymes sociétés.. . Enregistrée en 1954, la chanson constitue une ouverture pour le moins visionnaire. Par la suite, à la façon d’un tour de chant, une vingtaine de titres s’enchaînent, alors qu’en front du plateau, un micro sur pied dans un halo de lumière, induit le fantôme du poète-chanteur.
Je commence à avoir une certaine expérience des musiques sur lesquelles il n’est pas possible de chanter, à priori. J’aime l’idée de faire passer une telle musique dans le corps. Teresa de Keermaeker cerne ainsi l’optique du projet qui relève d’une répartition des tâches.
Rompu aux danses de rue, Solal Mariotte prend en charge les passages physiques, tandis que sa partenaire creuse la miniature. En complet veston ou dans le plus simple appareil, l’austère Anne Teresa surprend par ses propensions clownesques. Le dégingandé Monsieur Hulot, Jacques Tati (1907-1982) et son ironie pointilliste, imprègnent les mimiques clownesques qui accompagnent Bruxelles ou Ces gens là.
Une mise en lumière étudiée (la moindre des choses) et certains documents vidéos enrobent les spirales tracées sur scène. Des vues dantesques dévastent Le Plat Pays et l’interprète hors-pair, la bête de scène, surgissent (inévitablement) sur le port d’Amsterdam.
Du tonus expressionniste des débuts, à la proximité du trépas qui hante Les Marquises (1977), le choix chronologique et les figures dansées traduisent les métamorphoses du poète d’outre Quiévrain. Certes, dans le dernier tiers, Brel, ses mots, sa voix, son aura surmontent les gambilles. Mais une douce soirée d’été, dans un écrin d’exception, en compagnie de Jacques, Solal et Anne Teresa, le souvenir ne s’effacera pas.
BREL : 22H, Carrière Boulbon, jusqu'au 20 juillet. Relâche le 16 juillet.
Réservations : https://festival-avignon.com/fr/edition-2025/programmation/brel-351223
Photographies : Christophe Raynaud de Lage.