Être ensemble c’est se mélanger.
Sous cet adage, Tiago Rodrigues cerne l’esprit de sa programmation du Festival d’Avignon 2025. 44 projets composent une 79ème édition caractérisée par une parité absolue dans le choix des invités.
A la suite de Julie Deliquet en 2023, Angelica Liddell, l’an dernier, une artiste assurera l’ouverture de la Cour d’honneur du Palais des papes. Originaire du Cap-Vert, Marlene Monteiro Freitas se pose, dès sa première venue, dans la place la plus prestigieuse (et la plus exposée) du Festival.
Pièce pour huit interprètes, Nôt puise son inspiration auprès de Shéhérazade qui, sous l’injonction du sultan, fut contrainte de conter pour rester vivante. Le mouvement s’adjoint à la parole dans ce défi de survie qui sera l’objet d’une avant-première offerte (le 4 juillet) aux avignonnais.
Cette création en référence aux Mille et une Nuits, inaugurera le focus sur la langue invitée.
Convier l’arabe au Festival d’Avignon, c’est reconnaître la richesse d’un monde et son importance dans le domaine des arts vivants…, se tourner vers une langue de lumière, de connaissances et de transmission.
Les intentions de Tiago Rodrigues se répercutent sur une dizaine de propositions où l'interdisciplinarité supplante l'approche purement textuelle.
Dans le sillage de Marlene Monteiro Freitas, le chorégraphe tunisien Radouan Mriziga questionne dans The Desert, la polyphonie des cultures propres à ces étendues dites silencieuses (Cloître des Célestins).
Alliant texte, musique et hip-hop, le belgo-tunisien Mohamed Toukabri s’affranchit des hiérarchies des élégances au fil de Every-body-knows-what-tomorow-brings-and-will-all-know-what-happened-yesterday (Chacun sait ce que demain apporte et nous savons tous ce qui arriva hier). Le solo est accueilli en co-réalisation avec le Centre de Développement Chorégraphique National d’Avignon et sera représenté sur le plateau du Théâtre des Hivernales d'Avignon.
Un corps libre qui invente son propre geste, tel est le sous-titre de Laaroussa Quartet. Selma et Sofiane Ouissi puisent dans les récits des femmes potières du nord de la Tunisie, d'où se transmettent les secrets du façonnage de l’argile (FabricA).
Invité en 2018 et 2022, Ali Charour passe à nouveau par le Festival, cette fois en compagnie de trois femmes originaires d’Ethiopie et du Liban. Chacune fut assignées aux préceptes esclavagistes du Kabala. Dans When I saw the sea (Quand j’ai vu la mer), le chorégraphe libanais restitue leur combat par ses habituels entrelacs gestuels, musicaux et textuels (FabricA).
Place fut plébiscité lors de Festival 2019, Tamara Al Saadi revient à Avignon avec Taire. La dramaturge franco-irakienne livre sa vision d’Antigone au prisme d’une adolescente d’aujourd’hui, ballottée de foyers en familles d’accueil (FabricA).
Il y a trois ans, son Milk tout en noir et blanc avait bousculé les auditoires, le palestinien Bashar Murkus regagne Avignon aux côtés de Khuloood Baselle . Yes Daddy relève d’un huis-clos durant lequel une solitude se creuse au fil de la déréliction d’une mémoire (Salle Benoît XII).
La culture arabe figurera également au centre de deux soirées exceptionnelles.
La première sera dédiée, le 14 juillet dans la Cour d’honneur, à la diva égyptienne Oum Khalthoum (1898-1975) . La seconde (Nour) relève d'un kaléidoscope, poétique imaginé le 15 juillet au sein de la Cour Saint Joseph.
Les conflits en Syrie, au Liban, à Gaza traversent Radio Live, compilation de témoignages recueillis par Aurélie Charon. La productrice à France Culture transporte ces expériences sur le plateau de la Salle Benoît XII.
Dans une conformité plus intime, le dramaturge Syrien Wael Kadour questionne l’autonomie des artistes exilés dans Chapitre quatre, proposition incluse dans les petites formes de Vive le sujet ! Tentatives (jardin du Lycée Saint-Joseph).
Par les temps qui courent, les spectacles inclusifs/participatifs occupent une place de choix dans les programmations. Ainsi They always come back, (Ils reviennent toujours), pièce imaginée par le chorégraphe marocain Bouchra Ouizgen pour 50 amateurs d’Avignon, sera offerte du 4 au 6 juillet, sur la Place du Palais.
Chaque année, la sélection du Festival d'Avignon entrecroise créateurs reconnus et nouveaux venus.
Parmi ces derniers, Joris Lacoste malaxe les effigies de la pop culture et célèbre l’indiscipline tout au long de Nexus de l’adoration (Gymnase Aubanel).
Le croisement des expressions caractérise encore les Derniers Feux (d’artifices) allumés par le danseur-chorégraphe Némo Flouret avec la complicité de Philippe Quesne, dont le Jardin des délices enchanta en 2023, la carrière de Boulbon (Cour du Lycée Saint Joseph).
Une ode aux mères universelles, ainsi se définit MAMI, poème sans dialogue, porté par l’albanais Mario Banushi qui connaîtra son baptême avignonnais au Gymnase Aubanel.
Sur l’autre rive du Rhône, compilées par Émilie Rousset, Affaires familiales confrontent les règles du droit aux mutations sociétales. Cette mise en abîme se tiendra dans le tinel de la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon, requalifié, pour l'occasion, en prétoire de justice
Délaissé depuis le départ d’Olivier Py, qui lui accorda une place récurrente durant sa direction, le jeune public réintègre le Festival, via les Fusées mises à feu par Jeanne Candel, friande d'enfermement intergalactiques (Salle Benoît XII).
Découverte lors des Hivernales d’Avignon 2019, la chorégraphe Mette Ingvartsen investit la Cour du Lycée Saint-Joseph, l'espace d'une Delirious Night qui ressuscite quelques danses et célébrations du Moyen-Âge.
Toujours en provenance des Hivernales, six mois après Bate Fado, les performeurs-chorégraphes portugais Jonas et Landers animeront quelques after au Bar du Festival, sur le cheval mécanique de Coin Operated.
Très représentée cet été, la danse recoupe le texte tout au long de Rinse, anatomie des commencements et autres entrées en matière, confectionnée par les Australiens Amrita Hepi et Mish Gregor (Gymnase du lycée Mistral).
En alternative aux premières venues et focus du moment, l’édition 2025 se jalonne de de retours et de permanences.
Après Le Songe d’une nuit d’été (2023), puis Quichotte (2024), l’improbable Gwenaël Morin poursuit son bail de quatre ans sur le Jardin de la Maison Jean Vilar et, cet été, monte à l’assaut des Perses d'Eschyle.
Deux après Que ma joie demeure, Clara Hédouin réitère sa passion pour la langue et les territoires chers à Jean Giono (1895-1970), Proposition déambulatoire co-réalisée avec le Festival Villeneuve en scène, Le Prélude Pan sillonnera la Plaine de l'Abbaye de Villeneuve lez Avignon.
Après la cour d’honneur du Palais des papes en 2022 (La Cerisaie) et 2023 (By Heart), la Carrière Boulbon (Hécube, pas Hécube), Tiago Rodrigues s’octroie trois semaines à l’Autre Scène-Vedène. Sur ce plateau décentralisé, La Distance, sa nouvelle création pour deux interprètes, agrège l’humeur dystopique et les démêlés familiaux, dans lesquels puise sans cesse le dramaturge-directeur du Festival d’Avignon.
La belgitude régnera à Boulbon dont l’écrin minéral est confié en exclusivité, aux bons soins de Anne Teresa de Keersmaeker. La chorégraphe dansera au bras de Solal Mariotte sur les mélodies et l'expressivité dramaturgique des chansons de Jacques Brel (1929-1978).
Autre chorégraphe rompue à l’été avignonnais, Mathilde Monnier, investit la toute récente Villa Créative (ex Faculté des sciences) pour 10 jours d’une Transmission Impossible, forum immersif dont la restitution s’effectuera en entrée libre les 13 et 14 juillet.
A l'occasion de Israel et Mohammed, Israel Galvàn (Fred Astaire du Flamenco) et Mohamed El Khatib (dramaturge compulsif), s'accordent dans un Cloître des Carmes, l'espace d'un dialogue réparti sur 12 soirées.
Fermé pour travaux l’an dernier, ce lieu chargé de tant de souvenirs magiques, accueillera, le 18 juillet, la soirée Hommage à Gisèle Pelicot, dont le procès, dits des viols de Mazan, alimentera une lecture collective assurée par les artistes de l’édition 2025.
Transférée à Boulbon l’an dernier, La Comédie Française renoue avec la Cour d’honneur.
Créé en décembre 2024 dans la Salle Richelieu, Le Soulier de Satin revient au Palais des papes, 38 ans après l’épopée claudellienne rêvée et dirigée par Antoine Vitez (1930-1990). Auréolé de sa demi-douzaine de Molières, dont la mise en scène décerné à Eric Ruf et diverses interprétions pour Marina Hands, Juliette Béhar et Laurent Stoker, cette grande production clé en main sera l’objet d’une recréation sous un ciel traversé par les martinets.
François Tanguy est parti mais son Théâtre du Radeau cingle encore. La compagnie du dramaturge, brutalement décédé en décembre 2022, retrouve le Gymnase du Lycée Mistral pour Item et Par autan (photo). Les deux créations (2019-2022) témoignent de l’art du collage, allié au pointillisme esthétique, qui caractérisent ce sculpteur de formes, attaché au dialogue des arts et aux démarches collectives.
Découvert en 2013 avec Hate Radio, tétanisante restitution des programmes radiophoniques qui, au seuil des années 90, attisèrent le génocide Rwandais, Milo Rau (photo) prend en charge la création itinérante du Festival 2025.
Qualifiée d’étude scénique, La Lettre désigne une partition pour une actrice et un acteur, ébauche de manifeste pour un théâtre populaire d’aujourd’hui. La création sera l'objet de 17 représentations dans divers quartiers d’Avignon et sur une dizaine de communes limitrophes.
Artiste associé à l’édition 2007 du Festival d’Avignon, Frédéric Fisbach investit le Cloître des Célestins. Aux côté de Dida Nibagwire, directrice du casting de Petit Pays, film réalisé en 2020 par Eric Barbier, d’après le roman de Gael Faye (2016), le metteur en scène livre son adaptation théâtrale du même livre, entre les deux platanes tutélaires cet espace atypique.
Nora-Maison de poupée (2004), Un ennemi du peuple (2012), Richard III (2015).., 10 ans plus tard Thomas Ostermeier retrouve son Opéra d’Avignon. Signé Henrik Ibsen (1828-1906) et à contretemps de Un ennemi du peuple et son apologie de la vérité, Le Canard Sauvage examine les dangers à fracturer la chape de silence qui cimente les bonnes sociétés.
Incontournable dans les années 2000, puis hors des radars avignonnais depuis 2012, Christoph Marthaler réapparaît cette année, au Sommet. Le terme désigne une conférence internationale détricotée par ce pionnier d'un théâtre musical nimbé de langueur drolatique et d'harmonies mélancoliques (FabricA).
Dans le même registre, deux ans après un Sans Tambour aussi roboratif que dévastateur, Samuel Achache succédera à Ostermeier sous les dorures à l’italienne de l’Opéra d’Avignon. Programmé dans les derniers jours du Festival, Les incrédules se définit comme un opéra invraisemblable pour chanteurs, acteurs et 52 musiciens (plus un saxophoniste).
La chanteuse Marya Andrade, le 12 juillet au Palais des papes, le Dj Branko, lors de la clôture du 26 juillet à la FabricA, figurent parmi les invités de Marlène Monteiro Freitas, artiste complice de l’édition 2025.
Au chapitre expositions : invitation à séjourner dans le salon d’une femme en Afghanistan, Inside Kaboul se définit comme une installation immersive, conçue par Caroline Gillet, Kubra Khademi et Sumaia Sediqi. A fréquenter dans la salle des colloques du Cloître Saint-Louis.
L’arrière pays, les territoires arabes se déploieront en archipel en L’Église des Célestins, Les clés du Festival, accrochage permanent et évolutif autour de l’esprit d’Avignon, constitue l’évènement majeur de l’été à la Maison Jean Vilar.
En lien avec les cinémas Utopia, les Territoires cinématographiques cernent les liens qui unissent le 7ème Art et les artistes du Festival. A ce titre Marlene Monteiro Freitas convie le cinéaste portugais Pedro Costa. En parallèle, Milo Rau accompagnera les courts-métrages réalisés avec les étudiantes et étudiants de l’école de cinéma de Mossoul.
En tout et pour tout, Avignon 2025 affiche, dans une vingtaine de lieux, 44 projets artistiques, produits ou coproduits aux deux tiers par le Festival. L’on remarquera, par ailleurs, que près d’une dizaine de propositions sont accompagnées par les Fondations Hermès, Calouste Gulbenkian, Dance Reflections Van Cleef et Arpels.. . Le recours à des fonds privés allège les difficultés financières et compense le désengagement des collectivités publiques. Il reste à espérer que ces prestigieuses contributions n’oblitèreront en rien l’autonomie artistique du Festival d’Avignon, institution cardinale du Service Public de la Culture.
Festival d'Avignon 2025: du 5 au 26juillet.
Réservations :
Site Internet festival-avignon.com à partir de 13h
Prévente magasins Fnac Avignon-République et Le Pontet de 13h à 18h (adhérents uniquement)
Site fnacspectacles.com à partir de 18h
Par téléphone : 04 90 14 14 14, du mercredi au samedi de 13h à 19h
Au guichet Cloître Saint-Louis, 20 rue du Portail Boquier, Avignon, du mercredi au samedi de 13h à 19h
+ Tous les magasins Fnac
Guichet et téléphone, tous les jours de 10h à 19h
Site Internet et application mobile 24h / 24h
Pendant le Festival, toutes les ventes sont arrêtées 5 heures avant chaque représentation. Elles reprennent 1 heure avant, sur chaque lieu, dans la limite des places disponibles.
Photographies : Didier Grappe, Jean-Louis Fernandez, Christophe Raynaud de Lage.