Découvert à Avignon en 2016 avec Leïla se meurt, évocation des pleureuses sollicitées lors des cérémonies funéraires, Ali Chahrour revint lors du Festival 2022, pour une élégie maternelle (Du temps où ma mère racontait). En cette édition 2025 focalisée sur la langue et la culture arabes, l’artiste libanais présente When I saw the sea.
Paradoxe d’un titre, synonyme d’horizon et d’évasion, il sera question d’enfermement. À cet effet, le chorégraphe-metteur en scène délaisse le plein air pour la vaste boîte noire de la FabricA. Dès l’entrée, les spectateurs des premiers gradins sont aveuglés par le faisceau d’un fort projecteur. Du lancinant (et éprouvant) aveuglement, émergent des silhouettes, s’insinuent des paroles, s’échappent des harmonies.
When I saw the sea porte la griffe de son auteur : alchimiste des danses, des chants et du factuel. Mais, ici les interprètes Tenei Ahmad, Zena Moussa, Rania Jamal, ont été leurs personnages. Toutes trois furent asservies par des kafils. Dans la société libanaise, le système kafala transforme les employées de maison d’origine étrangère en esclaves recluses, brimées, voire affamées. Lynn Adib et Abed Kobeissy nappent ces récits de musiques et de chants, odes à la terre et la mer.
Par delà les contributions, Ali Chahrour s’empare, sublime les morphologies et les voix des intervenantes. Effaré par l’enfer domestique dépeint par les témoignages, l’on reste subjugué par la plasticité organique et la puissance d’incarnation qui anime celles qui l’ont vécu.
Le projet dose le vérisme, le chagrin, le dolorisme. Une froide colère s’épanche. Les timbres restent fermes. Les silhouettes se cabrent, se contorsionnent, les chevelures fouettent l’espace où s’épanouissent au sol. Telles des psalmodies, les indignations se fondent dans une transe de corps, d’étoffes et de lumière.
Une impressionnante solennité émerge de ce frugal raffinement. Etranger à toute grandiloquence, When I saw the sea célèbre le féminin en résistance et pose l’art comme vecteur de résilience, tout au long d’un rituel d’une immense noblesse .
When I saw the sea : 13h, lundi 7, mardi 8 juillet. La FabricA.
Réservations : https://festival-avignon.com/fr/edition-2025/programmation/when-i-saw-the-sea-351178
Photographies : Christophe Raynaud de Lage