En 2024, le Festival d’Avignon confia à Angelica Liddell le spectacle d’ouverture de la Cour d’honneur du Palais des papes. Dès son entrée, l’artiste-performeuse effectua une toilette intime puis jeta l’eau usée sur les murailles du monument.
L’acte pouvait s’interpréter comme un geste blasphématoire, moins à destination du divin car l'artiste revendique une spiritualité ; qu’à l'encontre d’un ancien bastion du pouvoir religieux.
Un an plus tard, dans cet espace, devenu grâce à Jean Vilar (1912-1971) et depuis bientôt huit décennies, un creuset incontournable de l’Histoire du théâtre, un histrion rigolard, sur le plateau puis dans l’assistance, se délecte symboliquement et ad libitum de ses excréments. Tel est l’un des premiers actes de Nôt, création de Marlene Monteiro Freitas.
Proclamée dès sa première venue, artiste complice de l’édition 2025, propulsée dans le lieu le plus prestigieux et à ce titre, le plus périlleux du Festival, la chorégraphe-danseuse cap-verdienne livre sa vision de Shéhérazade, figure cardinale des Mille et une Nuits.
L’adaptation s’ouvre sur le tableau cité plus haut. La provocation induit la recherche d’un sens, d’une intention que l’on perçoit chez Angelica mais que l’on peine à discerner chez Marlène, si ce n’est un tunnel dont la scatologie participative brasse l’infantile et la démagogie. Par la suite, huit interprètes (non genrés of course) animent des stations qui brassent un large inventaire de barbaries et asservissements.
On l’a compris : au vérisme, à l’allusif, prévaut la symbolique baroque. Au fil des compositions étirées, ressassées jusqu’à une transe toujours évanescente, s’installe chez le spectateur une quête de références et de compréhension. Celles-ci ne manquent pas ; mais à l’exemple de l’épisode cité à l'accès de l’article, à chaque fois, le modèle écrase la reproduction.
Ainsi, symboles accablants d’une justice épuisée dans Leviathan, créé l’an dernier au Gymnase Aubanel par Lorraine de Sagazan, le recours aux visages pétrifiés, relève ici d’une longue et décorative mascarade. L'intervention d’une explosive femme-tronc, renvoie au cinéma majestueux, incisif, iconoclaste, pratiqué par l’immarcescible Alejandro Jodorowski. À ceci près que, dans El Topo (1970), La Montagne sacrée (1973), La Danza de la realidad (2013), chefs-d’œuvre habités d’êtres mal finis ou très esquintés ; les idées, les fulgurances, les émotions fusent et se bousculent à chaque séquence.
Force est de constater que dans Nôt, les fusées ne portent ni très loin, ni très haut, tout au long d'un spectacle qui n’établit aucune conversation avec le lieu, si ce n’est la difficulté à occuper un périmètre surdimensionné. La Cour d’honneur agit alors comme un cadeau empoisonné pour une artiste et une création qui gagnera sans doute une autre dimension dans un espace plus approprié.
Dans l’attente, la confusion règne, tout au long de Nôt, accumulation brouillonne où seules sont (sonnent) les caisses claires (même si les percussionnistes gagneraient à travailler leurs frisés).
Nôt : 22H, jusqu'au 11 juillet, Cour d'honneur du Palais des papes.
Réservations : https://festival-avignon.com/fr/edition-2025/programmation/not-351612
Photographies : Christophe Raynaud de Lage.