Audrey t’es pas toute seule

 

Pionnière de l’humour documentaire, Audrey Vernon aime les spectacles mode d’emploi. Après Comment épouser un millionnaire, qu’elle réactualise depuis plus de 15 ans, en fonction des fortunes exponentielles amassées par les très très riches, voici Comment traverser les sombres temps.

Le nouveau seule en scène emprunte son titre à un recueil d’écrits publié par Hannah Arendt (1906-1975), philosophe-journaliste, spécialisée dans l’étude des totalitarismes. L’appellation cite, par ailleurs À ceux qui viendront après nous, poème de l’écrivain-dramaturge Bertolt Brecht (1898-1956) qui dépeint ainsi une époque où il n’y avait qu’injustice et pas de révolte

Force est de constater que l’analogie est troublantes entre le texte rédigé dans l’Allemagne des années 30 et l’Europe, le Monde des ans 2020. Le malaise n'épargne pas Audrey Vernon. Déterminée à placer la résurgence du fascisme au centre de son nouveau spectacle, l’auteure reste pétrifiée par les massacres du 7 octobre 2023, suivis par le pilonnage de la Bande de Gaza.

 

Comment traverser les sombres temps effectue l’anatomie de cette sidération. À cet effet, la narration s’écarte de la trame linéaire propre à Marx et Jenny (2012) ou Comment épouser.., pour plonger dans les méandres d’un esprit quelque peu désemparé. En mal d’une une grille d’analyse, Audrey passe du coq à l’âne, de l’insouciance des temps passés à l’inconscience des temps présents.

Le désarroi se prolonge jusque dans ses travaux de décorations (nous sommes tout de même dans un spectacle à dominante humoristique). Il s’apaise néanmoins à la lecture des écrits de Hannah Arendt ou l’un des ses proches, Walter Benjamin (1892-1940), philosophe-traducteur (de Marcel Proust notamment). La rigueur du style, la complexité d’un raisonnement issu d’une pensée savante et non d’un calcul idéologique, participent alors d’un apaisement et contribuent à l’apparition d’embryons d’espoir.

Le spectacle à la première personne évite les scories nombrilistes propres à l’autofiction. Car l’auteure-interprète garde une distance vis-à-vis de ses doutes et états d’âmes. Par delà ce spleen dont elle n’a aucune exclusivité, il y a cette voix, cristalline, posée (y compris dans les parties chantées), cette fausse désinvolture, cet air de ne pas y toucher, qui confirment que, sans aller jusqu’au désespoir, l’humour (le vrai à ne pas confondre avec les ricanements médiatisés) demeure la politesse des temps inquiets.

Comment traverser les sombres temps : 15H10, Théâtre du Balcon. Jusqu’au 26 juillet. Relâche le jeudi

Réservations :  https://www.theatredubalcon.org/

Comment épouser un millionnaire : 11, 13, 15, 19, 21, 23, 25 juillet 21H La Scierie.

Réservations : 04 84 51 09 11 

Photographies : Laura Gilli, Hamza Djenat

 

 

Retour à la liste des articles