En juillet 2018, à Avignon, dans un petit théâtre du quartier des Teinturiers, An Irish Story connut ses premières représentations. Depuis, cette recherche d’identité, qui s’amorce de nos jours dans un jardin lyonnais et se clôt en terre irlandaise, au cœur des années 30, se joue en continu dans des salles de plus en plus vastes.
Cet été Kelly Rivière livre la suite des aventures de Kelly Ruisseau. On la savait passionnée de danse. Elle est désormais comédienne. Pas vraiment en haut des affiches, Kelly enchaîne les auditions mécaniques, les Murder party en entreprise, les silhouettes-apparitions éliminées au montage.
Toujours tancée par sa mère plus impérieuse que jamais ou sa belle maman, un peu serviable mais très âpre au gain.., la quadragénaire élève Liam, son fiston qui n’en perd pas une et ne l’envoie pas dire. Mais Kelly garde la cap et ne lâche rien. En dépit des réprimandes, de l’intermittence et du temps qui passe, c’est sur la scène qu’elle s’épanouira.
La Vie rêvée arbore les thèmes et les atouts de An Irish Story. Kelly Rivière poursuit sa quête des origines, cette fois du côté français et salue sa Mami Nana, grand-mère paternelle qui, à défaut de ses intonations méridionales, lui a légué sa tranquille obstination.
Également prégnante : l'intelligence de la narration. Traductrice (en particulier du dramaturge britannique Howard Barker), l’actrice-autrice franco-irlandaise tisse une trame à la fois serrée et aérienne où s’enchevêtrent présent, passé, affabulations et réalité. Mais, par delà l’agilité dramatique, La Vie rêvée consacre un autre talent inscrit dans ses gènes anglo-saxons: le sens du spectacle.
80 minutes durant, la Miss virevolte entre les personnages, tourneboule les disciplines, jongle avec les accents, ajuste un grand écart entre le filet de Liam et le timbre rocailleux de Pépé, ancien (machino) de la Comédie Française. Tempo tenu, gestuelle précise, autodérision distinguée, la mélancolie a du panache tout au long d’un tourbillon qui s’ouvre sur la mort d’un cygne (au bord d’un lac) et se clôt sur l’envol d’une Pie voleuse.
Jamais vraiment aux norme, toujours un peu à côté, Ruisseau-Rivière patience en silence, s’énerve en anglais et déterre au piano une chanson de Jacques Debronkart (1934-1983).
Je suis comédien / J’ai le monde en main / Je suis roi / Je suis Dieu / Mieux que ça / Je suis comédien.
Loin du fleuve tranquille La Vie rêvée s’écoule dans de multiples remous mais toujours la tête dans les nuages. Subtil, profond, brillant : That’s entertainment !
La Vie rêvée : 20H50, 11 Théâtre. Jusqu'au 24 juillet.
Réservations : https://www.11avignon.com/
Photographies : Pauline Le Goff