Des Profils paysans recueillis entre 2001 et 2008 par Raymond Depardon, à Vingt Dieux, le triomphe surprise (et mérité) de Louise Courvoisier (2024), en passant par Au nom de la terre (Édouard Bergeon 2019) ou La Terre des hommes (Naël Marandin 2020) ; le désarroi du monde rural effectue des passages assidus sur les grands écrans. A contrario, le sujet s'avère plus rare sur les plateaux.
Huit ans après Les Fils de la terre, adaptation du documentaire d’Édouard Bergeon, mis en scène par Élise Noiraud (Avignon Off 2017), Tout contre la terre s’immisce à son tour dans le marasme des petits fermiers.
Le projet résulte de la rencontre entre Rémi Couturier et Tu m’as laissée en vie. Le comédien-metteur en scène s’empare du récit publié en 2019 par Camille Beaurain et Antoine Jeandey (Cherche Midi).
Abrupte et très cinématographique, l'entrée en matière aligne un trépas suivi d’un coup de foudre. Camille (Charlotte Bigeard) tombe raide dingue d’Augustin (Tibaud Pommier). A 15 ans, la gamine suit son bien-aimé dans la ferme où il développe (dans les règles) un élevage porcin. Loin de les affecter, l’âpreté du labeur, la longueur des journées, les effluves du lisier, blindent les sentiments de la toute jeune femme pour ce grand échalas, aussi prévenant que maladroit.
La passion pour l'autre, l’attachement au métier cimentent un récit fragmenté, où alternent séquences intimistes et entrevues avec assureurs, banquiers ou acheteurs de centrales alimentaires. Par delà l’iniquité des rapports, les situations opposent la loyauté, l’ardeur, aux répondeurs sans âme, aux chausse-trappes contractuelles, à l’indifférence inconsciente (ou passablement abrutie) des interlocuteurs.
Les tableaux suscitent l’indignation, induisent la tragédie. Cependant, l’auteur, par ailleurs interprète du frangin gaffeur, teinte de bouffées burlesques, de césures kafkaïennes et de brèves parenthèses de plénitude, le trajet inéluctable du fermier.
La terre elle prend tout. Les créanciers se chargent du reste.
Il est vrai qu’il n’est pas facile de bien vivre et mieux produire lorsqu’on est pressuré par des crédits à 6 %. Ces enseignements accompagnent la traversée d’un labyrinthe-calvaire, qui laisse ses cinq visiteurs sur la paille et abandonne les spectateurs, partagés entre un dépit rebelle et l’agrément face à un beau (et salutaire) travail de troupe.
Tout contre la terre : 12h, du 5 au 26 juillet, La Factory-L’Oulle. Relâche le mardi.
Photographies : Artistic Scénic Productions.