Dans Mon père, cet arabe il y a une femme qui parle. Vite et beaucoup. Elle parle d’elle, à travers des personnages qu’elle escalade à intervalles réguliers car ils sont bien plus grands qu’elle. Mais elle s’exprime fort et clair car elle a appris et c’est son métier.
L’actrice parle de son père, à commencer par ses derniers instants, rongé une maladie dit professionnelle. Il travailla de longues années au contact de l’amiante.
Après sa disparition, ma mère m’a demandé d’intenter un procès.
Aux assises, Linda Chaïb préfère les tréteaux. Bribes de souvenirs, ronde des rôles.., à l’ouverture de Mon père, cet arabe ça se bouscule comme dans un esprit chaviré par le chagrin, les accès de rage et les miettes de souvenance. Puis le flot se régule. Peu à peu, simplement, une fille raconte son père.
A l’origine, il pensait économiser un pécule puis repartir au bled. A l’arrivée, il vécut en banlieue entre l’usine et l’appartement à loyer modéré où l’attendaient son épouse toute menue et ses neuf enfants dont une majorité de filles. Dans la maisonnée règne une stricte discipline que l'on contourne dans la complicité. Il faut dire que face aux situations ou questions embarrassantes, plutôt que la trique, souvent le paternel s’esclaffe comme d'autres bottent en touche. D’anecdotes en réminiscences, se tisse une histoire de l’immigration : appel de main-d’œuvre, regroupement familial, aléas de l’intégration.
Le déclic d’écriture ne fut pas une patisserie proustienne mais une fiche de paye. Un salaire congru qui n’autorisait qu’un seul tour de manège. Le père respectait la règle. Mais la règle ne respectait pas les enfants. Par son art de la formule, Linda Chaïb synthétise les situations, les émois, le fossé des générations.
A l’heure où le patriarcat apparaît comme la 11ème plaie d’Égypte (et des contrées limitrophes), cette élégie au paternel absorbe par sa vigueur concise et l’implication clairvoyante de son interprète.
Au sein de sa machine à jouer, la très soignée secrétaire se tient droite, bien droite. Elle le restera jusqu’au bout. Comme son père.
Mon père, cet arabe : du 5 au 26 juillet, 17H05, Artéphile Théâtre. Relâche le dimanche.
Réservations : https://www.artephile.com/