Le 2 décembre prochain, Roland Dubillard (1923-2011) aurait eu 100 ans. En amont de cet anniversaire posthume, la compagnie Tangente présente un diptyque consacré à l’acteur-auteur des Diablogues.
J’ignore ce qu’on appelle : avoir de l’imagination, et dans les cas où j’ai réussi à m’en fabriquer un peu, le résultat obtenu me paraissait sans valeur.. .
La citation de Dubillard trouve son illustration dans Je ne suis pas de moi. Les metteures en scène, Charlotte Escamez et Maria Machado (veuve de l’auteur) plongent dans les opulents Carnets en marge, suite de notes, d’aphorismes ou de nouvelles, semblable à un brouillon de journal intime.
Sur le plateau, conversent, le jeune et le plus âgé, le beau gosse et le lutin rigolard (Samuel Mercer et Denis Lavant). L’échange suit la chronologie d’une existence : l’enfant, l’adulte, l’accident (en 1987, suite à un AVC, Roland Dubillard devint hémiplégique) puis la vie au ralenti.
Une table sur deux tréteaux où s’enchaînent des équilibres improbables, un réfrigérateur XXL, gavé de flacons alcoolisés, entre ces deux accessoires, s’affrontent deux ectoplasmes d’une même personne. Pirouettes acrobatiques, lampées cul sec, Jekyll et Hyde se contrarient ou se soutiennent, tout au long de cette vie de mots. Le verbe, la langue deviennent vecteurs du désespoir ou portes ouvertes, comme en témoigne le conte libertin, macabre et sidérant plat de résistance, vers le plus délié des imaginaires.
Flanqués de Nèle Lavant et Maria Machado, Lavant et Mercer, reviennent dans Les Crabes. Publié en 1971, la pièce scelle la rencontre de deux couples. Pour assécher leur dettes, un jeune homme et sa compagne, louent à deux retraités, une partie de leur maison en bord de mer. La cohabitation vire au jeu de massacre entre théâtre de l’absurde et saillies bêtes et méchantes.
Plus d’un demi siècle après sa parution et à l’aune du vieillissement de la population, Ce face à face furieux et iconoclaste, préfigure les temps présents où les jeunes générations contribuent à la confortable fin de vie de leurs aïeux. Sans grand espoir de retour.
Pièce visionnaire ? Peut-être. Les Crabes cultive la satire et la démence, dans une verve radicale, joyeusement désenchantée.
Je ne suis pas de moi : les mardis et mercredis
Les Crabes : du jeudi au dimanche
19H15, Théâtre du Chêne Noir. https://www.chenenoir.fr/event/les-crabes-2/
Photographies : Giovanni Cittadini.