Femme Capital nous intéresse à Ayn Rand (1905-1982). Celle ci est interprétée par Emma Liègois, jugée par les musiciens de l’Orchestre de spectacle de Montreuil. Car s’il est question d’une audition, celle-ci se déroule, non dans un studio mais au cœur d’un tribunal.
Seule face aux instrumentistes-jurés ou magistrats, Ayn/Emma trône dans une cage de verre, celle des accusés ou bocal dans lequel Adolf Eichmann, logisticien de la solution finale, fut placé lors de son procès en 1961 à Jérusalem. Et force est de reconnaître que s’il existe des crimes de guerre, Femme Capital introduit le concept de crime économique.
Pourchassée par les bolcheviques, la jeune femme juive, dès son arrivée aux États-Unis, n’eut de cesse de célébrer l’individualisme, la propriété privée, et la prééminence de la culture blanche, comme seul avenir de l’humanité.
Au croisement entre l'exposé documentaire, la pièce d’assise et le Musical made in Broadway, avec fumigènes et dollars à facettes, Mathieu Bauer organise un concert-procès (ou l’inverse) qui retrace dans une ironie brechtienne, l’irrésistible ascension de cette écrivaine-essayiste, adulée par le conservateurs et statufiée par elle-même. On remarquera, au passage, que cette pasionaria de l’hédonisme, connut une vie intime plutôt versée vers l'ascèse.
Ce n’est pas moi qui va mourir mais le monde qui prendra fin.
Ainsi décrétait la déesse du capital qui gagne être mieux connue. Car, en 1943, Ayn Rand publia The Fountainhead, roman à l’origine du Rebelle, classique réalisé en 1947 par King Vidor, dans lequel Gary Cooper incarne un architecte inflexible aux compromis. Dans un passé plus proche, The Fountainhead fut porté à la scène par Ivo Van Hove, en 2014, au Festival d’Avignon.
Or, le même livre demeure l’un des piliers de la philosophie objectiviste, ferment du courant suprémaciste, qui hissa Donald Trump jusqu’à la Maison Blanche.
La frontière serait donc infime entre un visionnaire, en butte à l'inertie des masses et un technocrate, vent debout contre l'intérêt collectif ?
Le paradoxe est passionnant.
La Manufacture-Patinoire, 13H40, jusqu'au 18 juillet.
Photographies: Jean-Louis Fernandez.