Le point de départ relève d’une simple démarche administrative. Un homme entreprend de renouveler son passeport. Un recours routinier, à ceci près que nous sommes en 2022, au Liban, autrefois exemple de république multiconfessionnelle, aujourd’hui contrée dévastée par les guerres civiles, les incuries claniques et l’épouvantable explosion de son port de commerce (en août 2020).
Dans Ma nuit à Beyrouth (le texte) il y a un quidam dans une file d’attente. Dans Ma nuit à Beyrouth (le spectacle), il y a une femme (Mona El Yafi) qui parle et un homme (Nadim Bashoun) qui danse (et cause un peu). Écrit par la première, le récit s’inspire d’un épisode vécu par le second, danseur-chorégraphe d’origine libanaise.
Afin d’accéder au ticket d’admission, le requérant rejoint de plus en plus tôt le cortège qui s’étire à la porte des services administratifs. Ses factions nocturnes lui donnent le temps d’observer le va-et-vient des limousines opaques, le ballet des mallettes bien scellées. Ce bon usage du passe-droit occasionne des méditations sur la corruption endémique, l’inflation démentielle et leur dommages collatéraux : famine, insalubrité, insécurité.., qui affectent l'immense majorité de la population.
Par ailleurs metteure en scène, Mona El Yafi agence une proposition de danse-théâtre, au fil de laquelle les contorsions du corps (d’une stupéfiante plasticité) traduisent l’indignation du citoyen, l’exaspération du requérant face à l'empilement des adversités, détaillés par la narratrice.
Parfois des mannequins forment un cortège d’attente et d’abattement. Tantôt une paroi s’érige façon barricade ou check point, puis, vers la fin, se métamorphose en engeance omnivore. Les cauchemars organiques filmés par David Cronenberg croisent alors le désarroi paranoïaque cultivé par Franz Kafka (1883-1924).
Ces entrelacs entre le récit documentaire et ses répercussions mentales, résonnent avec une scénographie interdisciplinaire, riche d’inventions dans l’utilisation d’accessoires basiques, en particulier une couverture de survie qui brise le monochrome, tel un oiseau chimérique et sublime.
Toutes aussi éclectiques, les nappes sonores concoctées par Najib El Yafi, enveloppent l'étonnant précipité de rapport informatif, d’ironie fataliste et d’échappée poétique, qui ponctue cette incursion au sein d’une nation ruinée, affamée, essorée ; mais toujours chevillée à l’Espoir et la Liberté.
Ma nuit à Beyrouth : spectacle du Diptyque Théâtre en co-production avec la Fédération des Amis du Théâtre Populaire :
Vendredi 12 septembre, Théâtre du Balcon Avignon.
Dans le cadre de la Semaine libanaise en Avignon.
Plus de détails sur : https://www.theatredubalcon.org/ma-nuit-a-beyrouth/
Photographies : Marie-Clémence David.