Anatomies du féminin

Actualité du 23/01/2024

C’est ce qu’on appelle les hasards de la distribution, à savoir la sortie simultanée de films partageant une unité stylistique ou une coïncidence thématique. Ainsi les portraits de femmes dominent les premières semaines de la nouvelle année cinématographique.

Un silence s’ouvre et se clôt sur le visage d’Astrid (Emmanuelle Devos), la mère qui par ses stratégies et ses réticences, colmate les lézardes d’une famille depuis longtemps atomisée. Un silence:  chronique sur : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/non-dits-denis-et-prescriptions.htm

Mutisme et secrets enveloppent encore Keely-Anne (Juliette Gariépy), top model-hakeuse, figure centrale des Chambres rouges. A l’ouverture du film écrit et réalisé par Pascal Plante, celle-ci se réveille dans la rue, non par misère mais afin de décrocher, dès l’ouverture du tribunal, une place pour le procès d’un sadique pédophile. Le détail des débats, au cours desquels elle se lie avec Clémentine (Laurie Fortin-Babin), une groupie du prévenu, scande un entrelac de recherches sur internet, affleurement compassionnel, jeu en ligne, déclassement et effraction.

S’il détaille avec minutie le rituel judiciaire, l’auteur entretient l’opacité, cristallisée sur le visage à la fois altier et indéchiffrable de la jeune femme. Kelly-Anne s’abîme socialement et physiquement dans un processus, dont on ne sait s’il relève de la vengeance ou d’une quête sacrificielle de vérité.

Inspiré par les snuff movies, films vidéos détaillant des tortures non simulées, Les Chambres rouges s’apparente à un néo-polar, où la traque sur le Dark Web supplante les descentes dans les bas-fonds. Le film déroule un suspense documenté qui culmine lors de l’inscription sur le site criminel, palpitant précipité de mots de passe, d’enchères et de coups de poker.

Jusqu’à l’évanouissement final, Pascal Plante cultive le mystère et l’ambiguïté, qui aiguillonnent le libre arbitre du spectateur, au risque de l’abandonner dans une rigueur glaciale qui, par instant, frôle la posture.

Énigmatique, la protagoniste de La vie rêvée de Miss Fran l’est pour le moins. Cependant, le titre original : Sometimes, I think about dying (Parfois je songe à mourir) renseigne sur les dispositions d’esprit de cette jeune employée dans un service portuaire de l’Oregon.

Atone, nippée de camaïeux grisâtres, Fran se pique néanmoins d’intérêt pour Robert (Dave Merheje), nouveau-venu dans l’open space. S'ensuivent quelques échanges de mails et une invitation en soirée.

Rachel Lambert consigne ce rituel de séduction comme une suite d’incertitudes, au fil desquelles un bonhomme intrigué et patelin, se confronte à un bloc minéral, parcouru d’aspérités déconcertantes. La vie rêvée de Miss Fran n’est pas sans évoquer les Bleak Moments (1971) de Mike Leigh (Secrets et mensonges 1996, Another Year 2010...). Dans son tout premier opus, cet exégète des sentiments, décortique la relation laconique et escarpée, entre deux solitaires passablement introvertis.

Chez la réalisatrice américaine, la circonspection acide du maître britannique, cède la place à l’empathie discrète pour une classe moyenne, qui se coule sans amertume dans une douce monotonie. Cette romance, toute en creux et délicatesse, est joliment portée par Daysie Ridley, dans un contre-emploi à son personnage de Rey, figure centrale la série Star Wars, depuis 2015.

Pauvres créatures est couturé au mesures de Emma Stone. Force est de reconnaître que l’actrice se ménage peu, tout au long du film de Yorgos Lanthimos. Filmeur baroque par définition, ce dernier s’avère moins poète-plasticien, façon Peter Greenaway, Tim Burton ou Guillermo Del Toro, qu’architecte d’intérieur enclin à la surcharge.

De l’intrigue qui pique à Frankenstein, Alice au Pays des merveilles et Candide de Voltaire, jusqu’au propos, traversé de mâles égoïstes, immatures, pleurnichards, psychopathes et de dames spontanées, fatalistes, engagées, conquérantes.., la pièce montée coche toutes les cases d’une hybridation bien-pensante.

Dans la peau de cette jeune femme dotée du cerveau de son nouveau né, Emma Stone livre une composition qui impressionne, tant par le travail sur le corps et l’élocution, que par la fantaisie éclairée de l’incarnation. Par ailleurs coproductrice du film, l’actrice paye de sa personne et de ses deniers, dans un véhicule en route vers les prochains Oscars. Le Golden Globe, décroché il y a quelques jours, témoigne qu’Emma est sur la bonne voie.

 

Paula Beer est toute aussi omniprésente dans Stella, une vie allemande. Le film retrace le trajet de Stella Goldschlag (1922-1994) juive allemande qui collabora avec le régime nazi dans la traque de ses coreligionnaires. Star dans son pays, découverte en France dans Frantz (François Ozon 2106), nouvelle égérie de Christian Petzold (Ondine 2020, Le ciel rouge 2023), l’actrice investit son talent et son aura dans cette chanteuse, jeune, belle, ambitieuse, emportée dans un maelstrom de menaces et de cruauté.

Terreur endémique, désir de survie pour elle et ses parents, Stella prend de mauvaises décisions, jusqu’à les assumer et se fondre dans une armure de Diane chasseresse qui lui vaudra le surnom de Poison blond.

Kilian Riedhof traduit les dévastations intérieures de cette désemparée qui, pour échapper à l’enfer, creuse un inextricable pandémonium. Malaisant, Stella, une vie allemande déstabilise et édifie par son approche de l’engagement et de la probité, face à l’épouvante érigée en institution.

Malgré son agitation souvent ostentatoire, le film aborde cependant, des questionnements complexes, qu’au-delà des schématismes et stigmatisations, il n’est pas inutile d’affronter.

 

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