Filles aux pères

Actualité du 21/11/2024

 

C’est ce que l’on appelle les hasards de la distribution. A savoir l’arrivée de concert, sur les écrans, de films qui, bien qu'issus de divers horizons, croisent un même sujet, une même thématique. Ainsi, le mercredi 13 novembre a vu les sorties du Royaume, La Vallée des fous, La Part manquante et Good One, quatre titres fondés sur la relation entre un père et sa fille.

Premier long-métrage de Julien Colonna, Le Royaume aborde la Corse et ses inextricables guerres claniques, au fil d’une échappée mortifère où s’entremêlent transmission et malédiction. Le polar de vengeance croise Le Roi Lear dans cette échappée erratique, portée par le charisme de ses deux interprètes, à la base non-professionnels.

La chronique complète c’est par ici : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/la-malediction-dans-l-ile.htm

 

La Vallée des fous se situe plus à l’ouest, quelque part en Normandie, sur un voilier échoué au fond d’un jardin. A la barre : Jean-Paul (Jean-Paul Rouve). Criblé de dettes, imbibé de vodka depuis le décès de son épouse, le restaurateur se lance dans une simulation du Vendée Globe organisée par l’application Virtual Regatta. L’initiative provoque l’incrédulité puis l’enthousiasme de Camille (Madeleine Beauvois), lassée d’être le réceptacle de la neurasthénie paternelle.

Alcoolisme, famille dysfonctionnelle, dépression.., le breuvage constitue déjà la toile de fond de Nord, premier film réalisé et interprété (auprès de Bernard Verley et Bulle Ogier), en 1991 par Xavier Beauvois. Par la suite, les mêmes sujets innervent, Le Petit Lieutenant (2005), Albatros (2021).. . Toutefois, au vérisme radical des premiers opus, se substitue un romanesque pointilliste, véhicule d'une recherche de rédemption.

Que ce soit un commissariat de police, un monastère (Des hommes et des dieux 2010, le plus gros succès de son auteur), une exploitation agricole ou, ici, un restaurant, Beauvois filme le travail au quotidien, dans ses euphories, ses contraintes et ses afflictions. Taillé aux mesures de son acteur principal, pour l’occasion bien entouré par ses partenaires, dont l’inestimable et inoxydable Pierre Richard, La Vallée des fous s’assimile à un mélodrame feel-good, tantôt poignant, parfois souriant, toujours ballotté par les addictions et les quarantièmes rugissants.

 

 

La paternité reste chevillée à la caméra de Guillaume Senez. Diffusé en 2016, Keeper met un adolescent et sa copine à l’épreuve d’une grossesse non désirée. L’aspirant gardien de but, hypothèque son avenir professionnel pour atténuer le désarroi de la toute jeune mère. Trois ans plus tard, Nos batailles confronte Olivier (Romain Duris), manutentionnaire dans un giga-entrepôt de vente en ligne, à l’évaporation de son épouse. Désormais seul avec sa fille et son fils, celui-ci surmonte son chagrin, multiplie les contorsions d’emploi du temps et donne le change pour apaiser ses enfants.

Pour Une part manquante, le réalisateur belge place le même Duris au volant d’un taxi tokyoïte. Neuf années auparavant, en Europe, Jérémy a tout plaqué pour retrouver Lily, sa fille enlevée par sa mère d’origine japonaise. Le film se pare d’un aspect documentaire autour de la législation nippone qui, en cas de divorce, ignore le principe de la garde partagée. Il s’ensuit des enlèvements d’enfants de la part d’un des conjoints. Les plaintes pour tentatives de rapprochements sont, en vertu d'un conservatisme garant des traditions, ignorées ou sévèrement entravées.

Durant ses deux premiers tiers, le récit relate les trajets d’un conducteur qui, bien qu’il connaisse toutes les voies de la mégalopole, se perd lui-même dans une errance obsessionnelle. La quête prend des allures de thriller, soumis à la maîtrise permanente des attitudes, le contrôle de toute émotion, afin d’éviter dérapages et esclandres, susceptibles d’interventions policières, souvent synonymes d’extraditions.

Dommage que la tension se relâche avec les irruptions tempétueuses, autant qu’improbables, de Jessica, (Judith Chemla), la propre sœur de Jérémy, elle aussi séparée de sa fille dans les mêmes conditions. En dépit cet artifice scénaristique, le film se clôt sur une balade élégiaque, durant laquelle s’effacent les postures, s’écroulent les conventions.

 

Il est également question de balade et d'escapade dans Good One. Alors qu’elle s’apprête à entrer à l’Université, Sam (Lily Collias) accompagne son père (James Le Gros) sur le plateau de Catskills, au nord de New York. En route, Matt (Danny McCarthy), le meilleur pote du paternel, rejoint les marcheurs. Suite à une dispute, ce dernier est lâché par son fils. Sam se retrouve seule entre les deux ours.

Good One dresse un carnet de route sur les parcours balisés du parc naturel. En chemin, l’adolescente qui, visiblement, se trouve là moins pour son plaisir que pour complaire à son père, écoute les ressassements des deux quinquas divorcés, prépare le repas, nettoie la vaisselle, s’isole pour quelques affaires intimes.

Fille de Roger Donaldson, solide artisan hollywoodien, à l’origine de Bounty (1984), Sens unique (1987), Le Pic de Dante (1997).., India Donaldson s’attarde sur les détails : la posture surplombante du chef, les gaffes lourdaudes de son vassal, la nonchalance boudeuse de la préférée (traduction française de Good One).

Pourtant, une suggestion inconvenante, une réaction inappropriée, extirpent l’escapade de son indolence. Le retour s’effectue en ordre dispersé. Le silence règne dans l’habitacle du SUV. Mais l’espace d’un regard, d’un geste, se cimente un affranchissement, s’amorce une contrition.

 

Minimalisme impressionniste, mélo cyclothymique, odyssée fataliste, traque névrotique, si les styles divergent, les quatre films adoptent le schéma du parcours d’apprentissage.

En chemin, à l’écart des simplification pamphlétaires, on se confronte, on se cabre, on s’enferre, mais aussi on converse, on s’écoute. On se comprend.

Les filles observent, encouragent, houspillent des géniteurs surplombants, butés, cassants, autant que fragiles et perfectibles. Des males imparfaits, des bonhommes complexes ; en fin de conte : des types pas si mal que ça.

Photographies : Guy Ferrandis, Les Films du Worso, Ad Vitam Distribution, New Story Distribution.

 

Retour à la liste des articles