Je n'ai pas lu Foucault
Céline Caussimon anime des ateliers d'écritures dans des établissements pénitenciers. Face à un auditoire en quête de RPS (Réduction de Peines Supplémentaire), la chanteuse-comédienne professe la flânerie parmi les pigments de Van Gogh, le spleen ouaté d'Edward Hopper, ou les gestes jetés de Jean-Michel Basquiat.
Au sein d'un microcosme où le stylo peut devenir une arme, elle attise le regard face à des images pas vues à la télé.
Sous-titré Chef-d'oeuvres en prison, Je n'ai pas lu Foucault alterne notations documentaires sur le quotidien des détenus, pointe certaines scléroses de l'administration et scrute les réactions au contact de la Beauté. Au seuil d'un monde nouveau, chacun trouve ses mots pour dire ses émotions. Et, souvent, la prof n'en reste pas intacte
Les Cœurs purs chantait Jean-Roger Caussimon (1918-1985). Céline, sa fille, anime une chronique des êtres cabossés, qu'elle déroule dans une méticuleuse distinction.
La Factory-Espace Roseau, 10H, jusqu'au 26 juillet. Relâche le mardi.
Chevaleresses
Nolwenn Le Doth signe, dirige et interprète Chevaleresses, premier texte ancré dans son enfance bretonne. Le récit de vie déroule un fil sur lequel se greffe un périple intérieur, puis les lenteurs et chausse-trapes de la procédure judiciaire.
Aux antipodes de l'imprécation doloriste, bousculée par un génie valeureux et un gnome accablant ; ponctuée d’extraits télévisés, de tubes de hit-parade, d’inserts téléphoniques.., la partition à la première personne suscite un travail d’équipe.
L'autrice-metteure en scène nomme les choses, fédère les talents et cimente les amitiés, tel Arteteca. L’ensemble vocal féminin devient chœur antique qui, par les voix et les corps, cadence ce témoignage polyphonique entre le factuel du documentaire et l’ode à l’imaginaire.
Chevaleresses : une digue de protection, un moteur de vie, un vecteur de consolation.
10H, jusqu'au 26 juillet, Théâtre des Carmes Avignon. Relâche le mardi.
Les représentations seront accompagnées par une formation vocale réduite. Mais le 14 juillet, dans le cadre de la Journée contre les violences sexistes et sexuelles, le chœur Arteteca au complet, participera à la représentation de Chevaleresses.
Photographies : Cyrielle Voguet
Article et interview sur : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/running-up-that-hill.htm
Le Dernier jour de Pierre
C’est l’histoire d’un chemineau au cœur d’un paysage, ouvragé de rocailles patinées par la lumière, abrasé par le vent. En chemin, Pierre pose sa solitude dans un village, comme il s'en trouve dans les crèches ou les romans de Giono.
Tel est le point de départ du Dernier jour de Pierre, nouvelle création de la Compagnie Deraïdenz. Imaginée, écrite par Baptiste Zsilina, construite et animée par ce collectif dédié au théâtre marionnettique, la proposition réunit quelques 30 figurines, au fil d’une histoire en 10 tableaux.
Le récit se déploie au sein d’un castelet monumental, dans lequel évoluent des poupées à fil long. Le dernier jour de Pierre synthétise la démarche de ces jeunes artistes multifonction, qui allient invention esthétique, défi technique et rigueur d’exécution.
Au delà des exigences formelles, cette fable sur le réel et le désirable, reste au diapason de l’esprit Deraïdenz, attaché à l’expression de l’imaginaire, de la fantaisie, avec ça et là, des brèches intempestives où le quotidien côtoie le bizarre, l'ordinaire suscite l'extravagance, la fantasmagorie fracture l'empathie .
Le Dernier jour de Pierre : jusqu'au 19 juillet, 10h20 (relâche les 6 et 13 juillet), Pole Culturel Jean Ferrat Sauveterre, dans la programmation hors les murs du Théâtre du Train Bleu.
Le projet Train bleu / Off 2025 : plus de détails c'est par ici : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/le-cout-de-la-fete.htm
Photographies : Serge Gutwirth
Babïl
Tohu et Bohu racontent la construction difficulteuse de la Tour de Belba.
Si l'édifice a du mal à monter, l'histoire peine à se raconter. Si l'on veut que la parole porte, l'écoute reste nécessaire.
Pour son premier Jeune Public, Agnès Regolo insuffle son tonus et son sourire dans l'adaptation du conte de Sarah Carré qu'elle transforme en comédie-ballet. Ainsi, le chant baroque croise le music-hall et les vampires, les films de kung-fu.
L'incitation à l'écoute, à l'échange, au dialogue, adopte les éclats d'une bulle de bonne humeur.
Quelle meilleure manière d'attaquer la journée ?
Babïl : jusqu'au 26 juillet, 10H30, La Scierie. Relâche le mardi.
Photographies : Fred Saurel.
Une Opérette à Ravensbruck
Arrêtée en 1942 par la Gestapo, l'ethnologue Germaine Tillon fut internée, de 1943 à 1945, dans le camp de Ravensbrük. Sur place elle devint Verfügbar, affectée aux tâches les plus pénibles des stalags.
En 1944 elle rédige le livret du Verfügbar aux enfers, spectacle musical où les abominations se chantonnent. Dans des situations effroyables, désespérées, la distance humoristique proclame l’intelligence, affirme l’élégance, contribue à la survie. Rire pour ne pas mourir.
C’est une opérette, une vraie, interprétée par un quintet de chorus girls qui poussent de la glotte et lèvent haut la jambe. Les tempi sont allègres, les mélodies fredonnantes et les paroles terrifiantes. C’est Une Opérette à Ravensbrück.
Une opérette à Ravensbruck : 10H15, Théâtre 3S-10 Avenue (avenue de la trillade). Relâche le lundi
L'intégralité de l'article c'est par ici : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/french-cancan-aux-enfers.htm
Photographie : Xavier Cantat.
Pôvre vieille démocrasseuse
Disparu en 2005, l’acteur québécois Marc Favreau était plus connu sous le galure de Sol.
Sol n’avait pas du vocabulaire, il avait son vocabulaire. Ainsi chez lui, les femmes était belles et évanaissantes ; autrefois les épagneuls débarquèrent dans un nouveau pays qu’il appelèrent la chimérique… .
En 2014, Marie Thomas se glissa une première fois dans Sol, ses mots et son bada. Comment va le monde, se joue depuis à guichets fermés.
Pour évoquer la Pôvre vieille démocrasseuse, le vagabond à rien, revient avec d’autres considérations. Il est question du premier venu qui vivait tout seul et, forcément n’était pas heureux, de ces indigents qui échouent au pied d’hostiles murailles, de la santé lors d’une visite chez un praticien à l’amphétamine réjouie.
Marie Thomas se cache, se drape, s’amuse avec un rideau, La brindille devient luciole qui, de phrases en phrases, éclaire le monde de Sol-Favreau, sa langue bidouillée, sa mélancolie pétillante et son invention échevelée.
Pôvre vieille démocrasseuse : 11H35, jusqu'au 21 juillet, La Factory Collège Vernet.
Article intégral : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/retour-d-un-trio-gagnant.htm
Photographies : Olivier Padre.
Habemus Naufragium
On serait sur une plage. Juste après un naufrage ou une tempête. Un corps, puis deux, reviennent à la conscience.
La chorégraphe Silvia Pezzarossi, s'enchevêtre avec Anna-Maria Bayon. L'on songe à un crabe chimérique qui progresse de guingois. L'on pense encore à un ectoplasme, résultat de sulfureuses mutations.
Habemus Naufragium relate d'extravagantes métamorphoses, où l'effondrement des écosystèmes produit de nouvelles vies, génère d'inédites relations. Car, plus tard ou ici, maintenant, il n'est jamais facile d'avancer dans la même direction.
Silvia Pezzarossi et sa partenaire allient la fantaisie plastique et la métaphore visionnaire dans un étonnant moment de poésie corporelle.
Habemus Naufragium : 12H15, jusqu'au 20 juillet. Centre de développement chorégraphique National d'Avignon. Relâche le 15 juillet.
Photographies : Vincent Van Utterbeeck
Faire Commune
Ainsi dans Faire Commune, Malakoff devient l'œil du cyclone de la culture ouvrière.
Leonor Stirman, Grance Guierre et leurs comparses de La Compagnie réveillent les mémoires de Arthur Pieron, Augustine Variot, Luce Gerber.., citoyennes et citoyens de la commune sise au sud de Paris.
De la Commune sauvagement réprimée en 1871, jusqu'à la grève des mineurs de 1963, en passant par le Conseil National de la Résistance, se déroule un cabaret historique. Les notules didactiques se combinent aux images et un florilège de chansons populaires, révélatrices des humeurs du moment.
En guise chœur antique, les analyses de consultants qui pérorent sur des idées, des actions et un milieu qui leurs sont étrangers, instillent une patine caustique à la proposition. Celle-ci est vive et documentée, engagée avec panache.
Alors que s'amoncellent des nuages brunâtres,F aire Commune exalte les combats collectifs avec une subtilité et un entrain hautement salutaires.
Faire Commune : 13H, Théâtre de l'arrache cœur 18H, jusqu'au 26 juillet. Relâche le mercredi.
Photographie : Jean-Claude Chaunac.
Annette
Elle s’appelle Annette. Enfant, elle aimait regarder des films où ça chantait. Désormais septuagénaire, Annette s’est confiée à Camille Colpin. Au terme de ces entretiens, la metteure en scène l’a conviée à conter et chalouper sa vie. Donc, au plateau, Annette s’épanche, entourée de quatre partenaires, chapeautée par une souffleuse.
Ma vie, mon corps, ainsi pourrait se sous-titrer l’histoire d’Annette. Des primes toilettes (de bas en haut ou de haut en bas ?), au spleen de la ménopause, en passant par une kyrielle de premières fois, il apparaît, qu’en matière d’émois, de procréations, de tensions.. , la carcasse des femmes est toujours mise à contribution.
Pourtant, fi des plaintes et du dolorisme, la dame a du caractère. Annette se raconte dans son chez soi, un espace intérieur traversé par une poignée de fantômes. Un quatuor à parité incarne ces figures du passé avec lesquelles la dame partage un dialogue ou quelques esquisses guinchées.
Par ses options formelles et la personnalité hors-normes de son sujet, la proposition relève du documentaire chorégraphié sur une émancipation féminine au fil des trente glorieuses. L’objet théâtral est singulier et passionnant .
Annette : 13H, Théâtre des Doms. Jusqu'au 25 juillet, relâche le samedi et le mercredi.
Article intégral : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/che-sera-sera.htm
Photographies : Laurent Poma.
Le Chœur des femmes.
Violaine Brébion porte à la scène Le Chœur des femmes, roman de Martin Winckler, ancré dans le quotidien du pôle Mère-Enfant du CHU Nord de Tourmens.
La chronique s’amorce à l’arrivée de Jean (prononcer djiine, c’est une dame) Atwood. L’impétrante entame la validation ultime de son parcours d’internat.
Elle lie connaissance avec le docteur Franz Karma, le chef de service qu’elle surplombe, insensible au mandarinat.
Au plateau : deux actrices (Clotilde Daniault, Violaine Brébion), un acteur (Xavier Clion) manipulent des plaques rectangulaires, tantôt bureau, comptoir de cantine ou table d’opération, sur lesquelles, sur le dos ou en chien de fusil se posent des corps féminins. Car quelques soient les actions, c’est toujours sur ou dans le corps des femmes que les sévices s’abattent, les examens s’effectuent, l’intervention se produit.
Minutieuse, tonique, contrastée, cette éloge d’un service public de la santé, essoré mais efficace, empathique à tout jamais, est célébré par un collectif au talent complice.
A suivre et à méditer.
Artéphile Théâtre : 14H05, jusqu’au 26 juillet, Relâche le dimanche.
Chronique intégrale sur : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/en-ch-ur-et-en-corps.htm
Photographies : Anthony Magnier.
Autour de Marzia
Tout commence par une chaussette sale, dénichée par Marzia sous la baignoire de la salle de bain. À l’intérieur s’y découvre un bracelet gravé à son nom. Pas de doute, le bijoux lui est destiné. Mais quel drôle d’endroit pour dissimuler un cadeau.
Ainsi, Marzia cache sa découverte à ses parent, à sa nonna et entame une enquête sur le pourquoi du comment.
Accompagnée par Fabrizio Cenci, à la fois musicien et machiniste, Marie Salemi interprète sa partition qui emprunte au polar et à L’Île au trésor.
Le secret encombre, nous confie la détective. Sur le plateau Marie-Marzia virevolte entre des panneaux sur lesquels s’enchaînent des projections : décors ou images mentales.
Dans la maison Marzia la mort n’existe pas. Alors à quoi bon la cacher ? Autour de Marzia est un moment tonique et profond qui pose plein de bonnes questions.
Autour de Marzia : 14h10, Le Totem Art Enfance jeunesse. Jusqu’au 23 juillet. Relâche le dimanche.
Article complet : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/le-mystere-de-la-chaussette.htm
Photographies : Pierre Morales
Comment traverser les sombres temps.
Le nouveau seule en scène de Audrey Vernon emprunte son titre à un recueil d’écrits publié par Hannah Arendt (1906-1975), philosophe-journaliste, spécialisée dans l’étude des totalitarismes. L’appellation cite, par ailleurs À ceux qui viendront après nous, poème de l’écrivain-dramaturge Bertolt Brecht (1898-1956) qui dépeint ainsi une époque où il n’y avait qu’injustice et pas de révolte.
Force est de constater que l’analogie est troublante entre le texte rédigé dans l’Allemagne des années 30 et l’Europe, le Monde des ans 2020. Le malaise n'épargne pas Audrey Vernon. Comment traverser les sombres temps effectue l’anatomie de cette sidération.
Le spectacle à la première personne évite les scories nombrilistes propres à l’autofiction. Car l’auteure-interprète garde une distance vis-à-vis de ses doutes et états d’âmes. Par delà ce spleen dont elle n’a aucune exclusivité, il y a cette voix, cristalline, posée (y compris dans les parties chantées), cette fausse désinvolture, cet air de ne pas y toucher, qui confirment que, sans aller jusqu’au désespoir, l’humour (le vrai à ne pas confondre avec les ricanements médiatisés) demeure la politesse des temps inquiets.
Comment traverser les sombres temps : 15H10, Théâtre du Balcon. Jusqu’au 26 juillet. Relâche le jeudi
Chronique intégrale : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/audrey-t-es-pas-toute-seule.htm
Photographies : Laura Gilli, Hamza Djenat
Le Procès d’une vie
Sous-titré Gisèle, Marie-Claire, Michèle… et les autres, Le Procès d’une vie s’immerge dans la genèse du Procès de Bobigny. À l’automne 1972, l’avouée, transfuge de classe, ayant eu elle-même recours aux faiseuse d'anges, assura la défense de Marie-Claire Chevalier (17 ans) et quatre femmes, accusées d’avortement et de complicité d’avortement.
Sur scène : sept interprètes pour quatre fois plus de personnages. Rythmée comme un film, fragmentée comme une série-télé, la narration combine les lieux et les temporalités : de la bibliothèque de la RATP au palais de justice, en passant par La Tunisie et La Goulette natale de la future plaideuse.
Ancré dans le siècle dernier, le récit aborde le consentement, la vénalité, les dénis et autres préjugés liés aux déterminismes de genre.., autant de notions toujours au faîte de l'actualité. Fondus au noir, changements à vue.., chacune et chacun participent à la scénographie scrupuleuse et artisanale de ce tourbillon polyphonique. Décidément cette apologie du groupe s'avère un exemplaire travail de troupe.
Le Procès d’une vie : 16H30, jusqu'au 26 juillet, Théâtre des Gémeaux. Relâche le mercredi.
Chronique intégrale : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/l-epopee-d-un-progres.htm
Photographies : Simon Gosselin.
L’Art d’avoir toujours raison
À l’entrée, nous sommes accueillis par deux membres du GIRAFE : Groupe Interdisciplinaire de Recherches pour l’Accession aux Fonctions Électorales.
Auprès d’une assistance qu’ils estiment composée d’élus ou de futurs candidats, la doctorante (Adeline Benamara) et l’agrégé de géographie (Sébastien Valignat, co-auteur du texte avec Loga De Carvalho), développent une méthode simple, rapide et infaillible pour remporter un scrutin électoral.
L’Histoire en témoigne : réussir un coup d’état en France, c’est pas facile.
Rester flou, être intransitif. Éviter d’expliquer par des compléments d’objets. Positiver par l’euphémisme, cultiver le sophisme et ses contours imprécis. Trianguler.
Quand tout le monde vous ment en permanence..., plus personne ne croit plus en rien. L'observation livrée par Hannah Arendt (1906-1975), chapeaute L’Art d’avoir toujours raison. Documentée, argumentée, la conférence organise une minutieuse opération de décryptage. Cependant, si les démonstrations sont savantes, le pamphlet sémantique se déploie au prisme de l’ironie. Exemplaire et magistral.
L’Art d’avoir toujours raison : 17h35, 11-Théâtre. Jusqu’au 25 juillet. Relâche le vendredi.
Chronique untégrale : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/peigner-la-girafe.htm
Photographies : Louise Ajuste.
Lettres à Anne
Entre un fauteuil et une méridienne, Céline Roux et Samuel Churin donnent corps à plus de trente années (1962-1995) d’une correspondance adressée par François Mitterrand à Anne Pingeot.
Lettres à Anne dresse la chronique d’une passion où la plénitude des escapades alterne avec les tourments de l’éloignement. La conversation épitolaire se teinte d’arrière plans politiques (l’apparition de policiers auprès de Anne dès l’élection de François à l’Elysée) et de l’anatomie d’une singulière organisation amoureuse (l’absence de Danielle, la légitime, dans les derniers moments).
Mais ce rendu épistolaire demeure avant tout un éloge du style, une célébration de la langue, comme complément ou supplétif au vertige des sens.
J’ai enseveli ta rose dans Proust. Pas de doute, il savait écrire le Président.
Lettres à Anne : 17H30, Scala Provence. Jusqu'au 27 juillet. Relâche le lundi.
Chronique intégrale : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/xxx2.htm
Photographies : Mathieu Rapilly.
Emma Picard
Emma Picard adapte un livre publié en 2017 par Mathieu Belezi.
Dans les années 1860, Emma Picard, paysanne, veuve, mère de quatre enfants, accepte les 20 hectares de terroir algérien que lui octroie le gouvernement français. Une fois installée, Emma se met à la tâche. Non seulement il ne la rebute pas ; mais le labeur, elle connaît. Malgré le gel et les canicules, la fermière franchit les obstacles. Même qu’elle se dégote un amoureux. Mais le destin veille aux calamités.
Saisi dès les premiers mots par le timbre et la voix de Marie Moriette, l’on suit le calvaire de cette famille tanquée sur une terre qui ne donne rien et ne veut rien donner. Avec l’infortune, s’éloignent des proches et pointent les usuriers.
Au delà de la colonisation, Mathieu Belezi anatomise les multiples abords d’une migration. Emma n’est en rien une prédatrice mais une exilée, une primo-arrivante, désireuse de se creuser une place, de façonner une vie décente pour elle et ses enfants, sans abstraire l’inclusion et le partage avec les autochtones.
Emma était-elle une exception ? Quoi qu’il en soit son cas et sa passion sont exposés par une interprète exceptionnelle.
Théâtre Transversal : 17H50, jusqu’au 26 juillet. Relâche le mercredi.
Chronique intégrale : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/20-hectares-de-terre-algerienne.htm
Hamlet la fin d’une enfance
Sur le plateau : une chambre d’ado. De prime abord, le gaillard est cinéphile, fan de Brian de Palma et Quentin Tarantino. A l’image des deux cinéastes, adeptes du remake, de la transformation et des citations, Hamm (c’est son nom) associe son chagrin à la peine d’Hamlet.
Adapté, mis en scène par Christophe Luthringer, Hamlet la fin d’une enfance suit la trame et emprunte les phrases de Shakespeare. La tanière de Hamm devient un territoire intérieur, dans lequel le génie dramatique et les caractères du grand Will se combinent au peuple de Star Wars, aux riffs de The Cure et à l’effronterie du Muppet Show.
Souverain de son capharnaüm, Victor Duez éructe, affabule, déclame. Il gratte (la guitare) ou bavarde (en visio). Mais avant tout, à la table ou derrière une tête de lit, le bonhomme anime un petit monde qui, de la tringle à la gaine, survole divers aspects du théâtre marionnettique.
Par l’engagement (et la virtuosité) de son interprète, l’utilisation astucieuse des accessoires et des technologies, Hamlet la fin d’une enfance ouvre un accès décomplexé vers le drame élisabéthain. Astucieuse et enlevée, la proposition souligne la force d’évocation du Théâtre, à tout jamais miroir vivant et intemporel de la nature humaine.
Hamlet la fin d’une enfance : 18h05, Théâtre du Cabestan, jusqu'au 25 juillet (relâche le 15).
Article intégral : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/shakespeare-2-0.htm
Photographies : Nina Toscano
Entre chiens et loups
Depuis 30 ans, au cœur des calanques marseillaises, Camille et Manolo creusent les rapports, développent l'osmose entre humains et chevaux.
Entre chiens et loups, leur dernière création marque un retour aux fondamentaux. À 20H, large chapeau, robe de concert, une pianiste (Agathe Di Piro) prend place au cœur de la Plaine de l'abbaye de Villeneuve les Avignon. Ses arpèges attirent un femme, bientôt suivie par un homme-centaure. Ainsi le soleil se couche sur ces figures altières, bras le long du corps, rênes effilés à l'extrême ; l'hybridation frôle la perfection.
Camille et Manolo agencent un ronde sculpturale, un ballet où les centaures se dédoublent, une fois, deux fois. Ici la maîtrise et la virtuosité ne sont pas à la source d'exploits spectaculaires ; mais au service d'une chorégraphie sensuelle pétrie de distinction.
Au terme de cette brève rencontre, ponctuée de communions et d'éloignements. L'on s'éloigne de la piste sous le regard d'un cheval-artiste qui goûte l'herbe dans une élégante tranquillité. Peut-on rêver plus noble crépuscule ?
Entre chiens et loups : 20H, Villeneuve en scène, jusqu'au 20 juillet. Relâche le 14 juillet.
Photographies : Francesca Todde.
Quelque chose a disparu ou quoi ?
Après s'être penché sur l'Histoire et la première guerre mondiale (Les Filles aux mains jaunes), Michel Bellier se pique d'anticipation. Quelque chose a disparu ou quoi ? nous transporte sur le minuscule pré-carré (au sens propre du terme) d'une survivante flanquée d'un androïde aux fonctions aléatoires. La musique empruntée à New-York 1997, classique de la science-fiction cinématographique, réalisé en 1981 par John Carpenter, enrobe cette dystopie où le dépit se combine au loufoque.
Tic Tac Boum ! Joëlle Cattino (par ailleurs metteure en scène), incarne une Gelsomina façon Mad Max, vénérable survivante qui répertorie ses souvenirs et colmate son dépit sous une inépuisable rage de vie. La cadence imagée de la partition, le recours astucieux à des éléments basiques : toiles de plastique, ventilateurs.., participent à l'anticipation.
Mise en garde plus qu'imprécation, ce seule au plateau (et sur la planète), résonne comme une supplique drolatique, car il subsiste un mince espoir de dévier de la catastrophe annoncée. Même s'il est programmé en fin de journée, Quelque chose a disparu ou quoi ? peut se fréquenter en famille, histoire de constater que l'immobilité n'est pas incompatible avec la vitalité.
Quelque chose a disparu ou quoi ? : 20H45, Théâtre du Petit Chien. Jusqu'au 26 juillet. Relâche le mardi.
En attendant Godot
Cap au Pire (2017), La Dernière bande (2019), L’Image (2022), Fin de partie (2022), c’est un véritable Chantier-Beckett qu’ont entrepris Denis Lavant et Jacques Osinski. Du plus périlleux à la première évidence, pour la nouvelle (dernière ?) étape du projet, le duo se collette enfin à l’attente de Godot.
Dans un décor stylisé façon ligne claire, Vladimir et Estragon se posent au pied de l’arbre qui les abrite comme à chaque journée. Certes les chapeaux ronds sont sur les ciboulots mais les bonhommes tiennent moins du clochard clownesque que du gentleman farmer.
Tirés à presque quatre épingles, les vagabonds savourent leur patience, à peine perturbée par Pozzo et ses injonctions farcies d’acrimonie.
Pour ce Godot élégiaque, limite joyeux, Jacques Bonnaffé (Vladimir), Denis Lavant (Estragon), Aurélien Recoing (Pozzo), Jean-François Lapalus (Lucky) composent un quatuor de super-solistes, au service d’une partition à la fois solaire et toujours aussi énigmatique.
En attendant Godot : 21H, Théâtre des Halles. Jusqu’au 26 juillet. Relâche le mercredi.
Article intégral et interview de Jacques Osinski : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/godot-enfin.htm
Photographies : Pierre Grosbois.
Henriette ou la fabrique des folles
Chartreuse de Villeneuve lez Avignon, dans le demi-plein air de la Chapelle Saint-Jean, demeure une petite boîte qui sera tour à tour la chambre, la cellule et l’univers mental d’une femme qui aura passé 46 ans de sa vie dans un hôpital (à l’époque l’on disait asile) psychiatrique.
En 1930, Henriette Ouzilou, 32 ans, est internée à l’asile d’aliénés de Montperrin au 3 BIS F de Aix-en-Provence. Henriette est l’arrière grand-mère de Cyrille Atlan. L’aïeule est au centre de l’ultime segment de la trilogie EXIL/EXIT où l’autrice documente les éloignements qui jalonnent son histoire familiale.
La partition prends corps à l'intérieur d'une petite machine à jouer. La literie façonne des fantômes, un châle devient ramage et, derrière les rideaux, se dessinent de troublantes ombres portées. Le récit déroule une épopée intérieure où le baroque de la phraséologie résonne avec l'imagerie à la fois miniature, élémentaire et inouïe, qui se déploie au sein de cette cellule-castelet.
Cyrille Atlan synthétise ses expériences dans le théâtre, la marionnette et l’espace public, au fil de cette proposition à la fois limpide et époustouflante de rigueur, d’invention et de clairvoyance.
Une splendide découverte.
Henriette ou la fabrique des folles : 22H, Chartreuse de Villeneuve lez Avignon/Festival Villeneuve en scène.
Chronique complète : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2025/festival-d-avignon-2025-off/dans-la-caboche-d-henriette.htm
Photographies : Nathalie Ancé.