Vingt perles sur un plateau

Actualité du 14/12/2024

 

Kill Me

Suite à une rupture et une énième dépression, Marina Otero recrute trois danseuses-performeuses, diagnostiquées, elles aussi, borderline-bipolaires, plus une interprète sans suivi psychiatrique (mais fille d'analystes lacaniens).

Placé sous le patronage de Nijinsky personnifié par un éphèbe rondouillard-ras du sol et Sarah Connor (la meilleure ennemie de Terminator), Kill Me enchaîne tableaux et auto-fictions. Il y a de la fumée, des couleurs et des plumes ; des pointes, des flingues et des gants de boxe.

L'enchaînement baigne dans une nudité permanente, d'une infinie distinction.

Ça pianote (divinement), ça gigotte, ça déglingue au son d’Elton John, de Talking Head (Psycho killer of course) et un soupir de J.S Bach. Le solo sur L’Hymne à l’amour est bouleversant, le cygne en rollers désopilant.

Les confessions se gardent de la complaisance. Le parlé, le dansé sont réglés au millimètres. C’est cabossé et clairvoyant, provoquant et stylé, frappadingue et déchirant. Ça sublime à corps perdus. Et ça décline le féminin sans cogner sur le masculin.

Juin 2024, Chartreuse de Villeneuve lez Avignon.

 

Chevaleresses

Dans une semi-pénombre, au son de Running Up That Hill, une jeune femme escalade au pas de course les tumulus et anfractuosités, qu’elle affronte depuis sa prime jeunesse.

Nolwenn Le Doth signe, dirige et interprète Chevaleresses, premier texte ancré dans son enfance bretonne. Le récit de vie déroule un fil sur lequel se greffe un périple intérieur, puis les lenteurs et chausse-trapes de la procédure judiciaire.

Aux antipodes de l'imprécation doloriste, bousculée par un génie valeureux et un gnome accablant ; ponctuée d’extraits télévisés, de tubes de hit-parade, d’inserts téléphoniques.., la partition à la première personne fédère un travail d’équipe. A la geste théâtrale, le puzzle agrège danse, musique, chant, halos lumineux, segments enregistrés.

L'autrice-metteure en scène nomme les choses, fédère les talents et cimente les amitiés, tel Arteteca. L’ensemble vocal féminin (auquel participe Nolwenn), devient chœur antique qui, par les voix et les corps, cadence ce témoignage polyphonique entre le factuel du documentaire et l’ode à l’imaginaire.

Chevaleresses : une digue de protection, un moteur de vie, un vecteur de consolation.

Novembre 2024, Théâtre des Carmes Avignon.

Article et interview sur : https://www.michel-flandrin.fr/theatre/running-up-that-hill.htm

 

 

Forever

Désormais à la tête du Tanztheater Wuppertal, fief de la légendaire Pina Bausch (1940-2009), Boris Charmatz salue son aînée à travers Forever, installation chorégraphique au cours de laquelle, sept heures durant, vingt-cinq interprètes performent, commentent, revisitent Café Müller.

Créée en 1978, cette pièce emblématique de la danse-théâtre travaille le désir, le conflit, l’isolement, ressassés dans une brasserie, au son des canons d’Henry Purcell (1659-1695). Cet été, l’imposante porte à tambour est absente mais le mobilier est au toujours là.

Les chaises et les tables sont redisposées puis éparpillées par quelques 25 danseuses et danseurs. Chaque exécution de Café Müller est assurée par une distribution différente. La remise en ordre du plateau s’accompagne de quelques interventions d’artistes emblématiques ou primo arrivants en lien avec Pina.

Comme autrefois dans les cinémas permanents, l’on passe le temps qu’on désire et l’on se place où l’on veut dans la spacieuse boîte noire. En fond de scène, l’on frôle les interprètes, leurs respirations, leurs impulsions, leurs transpirations.. . 

A l'entrée de Forever, il y a de l’engorgement dans le flux de spectateurs. Beaucoup patientent pour entrer, et d’autres rechignent à sortir,  à s’extraire de cette plongée inédite dans la mélancolie distinguée de Pina, l’introspection de ses interprètes et l’approche inouïe du travail du danseur.

Juillet 2024, Festival d'Avignon.

L'article intégral et l'interview sont par ici : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2024/festival-d-avignon-2024-in/cafe-muller-mode-open-bar.htm

Photographie : Christophe Raynaud de Lage

 

 

 

Pouvoir

La représentation est interrompue par son principal protagoniste : un pantin, vague clone de Golum du Seigneur des anneaux. Celui-ci en a marre de rabâcher la même aventure, de vivre ad libitum les mêmes situations. Ses doléances sont transmises au trio de manipulateurs, des petites mains peu enclines à bouleverser une production qui roule.

S’engagent alors des négociations. Car la figurine et ses opérateurs demeurent à tout jamais consubstantiels. Les contributions sont l’objet de scrutins, certes collégiaux mais peu propices à la sortie d’impasse. Certain décide alors de s’en remettre au suffrage universel et consulte directement le peuple des spectateurs.

Les aléas s’égrènent en une enfilade de tableaux, où Candide percute La Soupe aux Canards (Leo McCarey 1933). Les fables philosophiques chères à Voltaire s’enchevêtrent avec l’anarchie loufoque ourdie par les Marx Brothers.

L’on s’amuse beaucoup et l’on réfléchit sans cesse, tout au long de cette fantaisie machiavélique, dans laquelle, ô paradoxe, une marionnette, un pantin, catalyse les attentions et rassemble tous les suffrages. Où lorsque l’illusion comique se frotte à la comédie du pouvoir.

Magistral, clairvoyant, désopilant par dessus tout.

Juillet 2024, Théâtre des Doms 

L'article complet par là :  https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2024/festival-d-avignon-2024-off/changer-l-histoire.htm

Photographies : Céline Chariot.

 

Une ombre vorace

Jean Vidal est alpiniste et fils d’alpiniste. Avant de raccrocher pitons et piolets. Il décide de défier L’Ombre vorace, sommet de l’Annapurna, sur les parois duquel son père disparut 30 ans auparavant .

Michel Roux est acteur. Il partage ses journées entre le cabinet du médecin et le tournage d’une série télé de faible envergure. Jusqu’au jour où un réalisateur grand public mais non dénué de talent, lui propose le rôle principal de son prochain film, adaptation de la biographie d’un illustre alpiniste. L’ouvrage est rédigé par son fils : un certain Jean Vidal.

Mariano Pensotti alterne deux monologues, deux récits. De part et d’autre du plateau : Jean et Michel, le grimpeur en quête d’ascendant et l’acteur en mal d’incarnation, racontent leur épopée, l’un vers les sommets, l’autre face aux caméras. Entre les deux, trône un mur de glace ou de miroirs qui perturbe les trajets, qui déforme les reflets.

Une ombre vorace déroule un dialogue entre deux hommes qui ne se parlent pas. 

La fiction nous touche à un endroit de vérité.

Énoncée vers le terme du spectacle, la phrase résume à merveille cette vertigineuse odyssée. A partir d'un mur, deux acteurs et deux tapis roulants, Une Ombre vorace est une affaire qui marche.

Juillet 2024, Festival d'Avignon.

Chronique complète et interview par ici : https://www.michel-flandrin.fr/theatre/jean-vidal-et-michel-roux.htm

Photographie : Christophe Raynaud de Lage.

 

Le Chœur des femmes

Violaine Brébion porte à la scène Le Chœur des femmesroman de Martin Winckler, ancré dans le quotidien du pôle Mère-Enfant du CHU Nord de Tourmens.

La chronique s’amorce à l’arrivée de Jean (prononcer djiine) Atwood. L’impétrante entame la validation ultime de son parcours d’internat.

Elle lie connaissance avec le docteur Franz Karma, le chef de service qu’elle surplombe, insensible au mandarinat.

Car plus que tout, Jean veut découper, réduire, réparer, greffer, recoudre, cautériser.. . Elle sera la Jeanne d’Arc du scalpel. L’impératif de la guérison élude le tempo des soins, sans s’attarder sur la conversation, l’écoute, la compréhension.

Au plateau : deux actrices (Clotilde Daniault, Violaine Brébion), un acteur (Xavier Clion) manipulent des plaques rectangulaires, tantôt bureau, comptoir de cantine ou table d’opération, sur lesquelles, sur le dos ou en chien de fusil se posent des corps féminins. Car quelques soient les actions, c’est toujours sur ou dans le corps des femmes que les sévices s’abattent, les examens s’effectuent, l’intervention se produit.

Minutieuse, tonique, contrastée, cette éloge d’un service public de la santé, essoré mais efficace, empathique à tout jamais, est célébré par un collectif au talent complice.

 Le Chœur des Femmes : à écouter et à méditer.

Juillet 2024, Artéphile Théâtre 

La critique non charcutée : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2024/festival-d-avignon-2024-off/en-ch-ur-et-en-corps.htm

Photographies : Anthony Magnier.

 

Leviathan

Leviathan est une pièce d'assises. La procédure de comparution immédiate, jugement rapide d’un prévenu placé en garde à vue, devient le moteur dramatique de procès montre en main, durant lesquels défilent un accro aux motos, un SDF ingérable, une kleptomane et un témoin. 

Les commentaires et situations nourrissent une dialectique entre droit répressif et la justice réparatrice. L’on apprend que la privation de liberté assure la prospérité d’intérêts privés : les firmes assignées à l’alimentation du personnel, des prisonniers et l’entretien des structures. L’on est sidéré par la brièveté des débats et la sévérité des peines.

Ces ressources documentaires constituent le socle d’une hétérotopie, à savoir un lieu contre-utopique ayant le pouvoir de juxtaposer en un seul lieu réel, plusieurs espaces.., qui sont en eux-mêmes incompatibles.

Surtout, Léviathan ne reconstitue pas une salle de tribunal, mais un espace fantasmagorique, à l’intersection de la cathédrale, du cirque et des entrailles. De l’organisation à l’organisme, sur le lieu de comparution s’activent des créatures échappées d’une diablerie peinte par Jérôme Bosh (1450-1516). Des accusés sans visages se confrontent à des magistrats et des plaideurs à l’expression figée par des masques d’automates. 

A la fin surgit un étalon massif, puissant, majestueux, placide. Comme le remarque la metteure en scène Lorraine de Sagazan : L’animal ne juge pas.

Juillet 2024, Festival d'Avignon.

Commentaire intégral : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2024/festival-d-avignon-2024-in/la-voleuse-le-regleur-le-sdf-le-temoin.htm

Photographie : Christophe Raynaud de Lage.

 

 

Le Dernier jour de Pierre

C’est l’histoire d’un chemineau au cœur d’un paysage, ouvragé de rocailles patinées par la lumière, abrasé par le vent. En chemin, Pierre pose sa solitude dans un village, comme il s'en trouve dans les crèches ou les romans de Giono.

Tel est le point de départ du Dernier jour de Pierre, nouvelle création de la Compagnie Deraïdenz. Imaginée, écrite par Baptiste Zsilina, construite et animée par ce collectif dédié au théâtre marionnettique, la proposition réunit quelques 30 figurines, au fil d’une histoire en 10 tableaux. Le récit se déploie au sein d’un castelet monumental, dans lequel évoluent des poupées à fil long. Le dernier jour de Pierre synthétise la démarche de ces jeunes artistes multifonction, qui allient invention esthétique, défi technique et rigueur d’exécution.

Au delà des exigences formelles, cette fable sur le réel et le désirable, reste au diapason de l’esprit Deraïdenz, attaché à l’expression de l’imaginaire, de la fantaisie, avec ça et là, des brèches intempestives où le quotidien côtoie le bizarre, l'ordinaire suscite l'extravagance, la fantasmagorie fracture l'empathie .

janvier 2024, Fest'hiver.

Interview à suivre : https://www.michel-flandrin.fr/theatre/de-mal-en-pierre.htm

Photographies : Serge Gutwirth

 

Lacrima

Une maison de haute couture à Paris, un atelier de feston à Mumbai, le musée national de la Dentelle à Alençon. La robe de mariée de la princesse d’Angleterre.

Tels sont les lieux et l’enjeu de Lacrima. Après Saïgon (2017), Fraternité (2021), Caroline Guiela Nguyen revient au Festival d’Avignon dans une saga polyphonique portée par une douzaine d’interprètes (en présentiel ou en vidéo).

Conception et réalisation de la vêture: 548 heures. Broderie : 1890 heures. Dentelle : 2250 heures. 

La proposition enchaîne les tableaux au fil (terme de circonstance) d’un récit, qui dissèque l’abnégation de collectifs confrontés aux servitudes de l’excellence. L'exigence professionnelle fracture la sphère intime. La précision documentaire alimente un suspense couturier à haute tenue romanesque.

Avec Lacrima, sous-titrée : Une histoire contemporaine des larmes, Caroline Guiela Nguyen peaufine son art de la narration dans une fresque jabotée du sceau de l’élégance, dans toutes les acceptions.

Juillet 2024, Festival d'Avignon.

L'interview de Caroline c'est par ici : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2024/festival-d-avignon-2024-in/4688-heures.htm

Photographies : Christophe Raynaud de Lage

 

Une bonne histoire

Dans les années 2000, Sécuritas, éminente entreprise de sécurité privée, missionna des jeunes femmes afin d’infiltrer les réseaux altermondialistes de Suisse romande. L'entrisme fut mandaté par la firme Nestlé. Une bonne histoire retrace le Nestlégate et renouvèle le théâtre documentaire.

Ainsi, Adina Secretan élude la recension des faits et se concentre sur les taupes : Sara Meylan et Shanti Müller. 

J’ai voulu transcrire exactement la parole prononcée.

Joëlle Fontanaz et Claire Forcaz endossent les soupirs, les redites, les hésitations qui scandent chaque intervention. Cette diction chaloupée ponctue des récits où s’entremêlent le factuel, l’intuition, le jugement, la déduction. Dans leur contribution, les témoins exposent autant qu’il fictionnent.

En conséquence, plus on apprend, plus on ne sait rien,.

Un castelet de marionnettes haut lieu de manipulation, une loge d’artiste, fief du changement d'identité, des lettres lumineuses qui sourdent de l’opacité ; la mise en scène appuie sur l’énigme, cultive l’incertain.

Une Bonne histoire propose une captivante plongée dans les méandres et les fragilités de la perception et la parole. Avec ses deux formidables actrices, Adina Secrétan élabore un moment de théâtre déroutant, vertigineux ; en tous points édifiant.

Commentaire sans coupure : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2024/festival-d-avignon-2024-off/plus-on-apprend-plus-on-ne-sait-rien.htm

Juillet 2024, Chartreuse de Villeneuve lez Avignon. Avec SCH, la Sélection Suisse en Avignon.

Photographies : Christophe Raynaud de Lage.

 

Avignon, une école

Avignon, une école est animé par les étudiants de La Manufacture-Haute École des arts de la scène de Lausanne. De 1947 à 2024, de Jean Vilar à Tiago Rodrigues, en 115 minutes défilent 76 années du Festival d’été.

Comment mettre au plateau une archive, sa représentation, sa portée historique, son impact sentimental ?

Fanny de Chaillé et ses quinze interprètes relèvent la gageure au fil d'une épopée conforme aux fondamentaux vilariens : un lieu, un texte, des acteurs.

Peu pourvues en documents filmés, les premières heures revivent à travers de (savoureuses) imitations ou reconstitutions. 

La route est bordée de repères attendus : Maurice Béjart et l’inévitable Psyché Rock de Pierre Henry, les incantations du Living Théâtre, les rituels déviants ordonnés par Angelica Liddell ou Rodrigo Garcia.. .

La qualité de la restitution se greffe sur le glissement des contextes.  La curiosité des origines, exacerbée par les années de guerre, prolongée par les consolantes trente glorieuses, cède du terrain aux revendications, crises et polémiques, qui s'accélèrent depuis les années 2000, affectées par la globalisation libérale.

Avignon en juillet, ce n’est pas une ville qui a un festival mais c’est un festival qui s’empare d’une ville.

De la déclamation académique aux prestations performative, de Phil Glass à Rébecca Chaillon, les filles et les garçons de La Manufacture dansent, chantent, profèrent comme des chevronnés. En chœur, s’épanouit un gai savoir, entrecoupé d’une poignée de prédictions.

Aussi bons que les belges, les helvètes frappent à la porte du Parthénon des arts de la scène. Qu’on se le dise : avec Avignon, une école, le grand remplacement suisse est en marche.

Juillet 2024, Festival d'Avignon.

Critique intégrale : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2024/festival-d-avignon-2024-in/les-suisses-arrivent.htm

Photographies : Christophe Raynaud de Lage.

 

La Traviata

A l’origine, il y eut Marie Duplessis, courtisane dont la courte existence (1824-1847) inspira, dès 1848, à Alexandre Dumas fils, le destin de Marguerite Gautier, alias La Dame aux Camélias. Cinq ans plus tard, apparaissait Violetta Valery, figure centrale de La Traviata, opéra de Guiseppe Verdi, sur un livret de Francesco Maria Piave, démarqué de la pièce et du roman de l’écrivain français.

Nouvelle artiste associée à l’Opéra du Grand Avignon, la Chloé Lechat brise l’image doloriste de la pure héroïne qui brûle sa fortune, sa dignité et sa santé à la flamme de ses sentiments. Le clivage entre l’approche surplombante, compassée de Dumas et la mélancolie humaniste de Verdi, sous-tend, ici, la passion entravée de Violetta et Alfredo.

Épaulée par la scénographe Emmanuelle Favre, Chloé Lechat transpose l’intrigue de nos jours, dans un loft luxueux, où gesticule une humanité hors-sol.  La soprano Julia Muzychenko endosse le rôle-titre aux côtés de Jonas Hacker (Alfredo).

La saison lyrique avignonnaise s'ouvre dans un romantisme frappé d'une profonde (et bouleversante) élégance.

Octobre 2024, Opéra du Grand-Avignon.

Article + interview c'est par ici : https://www.michel-flandrin.fr/musique/sempre-libera.htm

Photographies : Steve Barenk.

 

Un faux pas dans la vie d’Emma Picard

Une femme veille un berceau. Elle se raconte au pied de la couche tachée de sang. Dans les années 1860, Emma Picard, paysanne, veuve, mère de quatre enfants, accepte les 20 hectares de terroir algérien que lui octroie le gouvernement français.

Une fois installée, Emma se met à la tâche. le labeur, elle connaît et il ne la rebute pas. Malgré le gel et les canicules, la fermière franchit les obstacles. Même qu’elle se dégote un amoureux. Mais le destin peaufine ses calamités.

Saisi dès les premiers mots par le timbre et la voix de Marie Moriette, l’on suit le calvaire de cette famille tanquée sur une terre qui ne donne rien et ne veut rien donner. Avec l’infortune, s’éloignent des proches et pointent les usuriers.

Un faux pas dans la vie d’Emma Picard adapte un livre publié en 2017 par Mathieu Belezi. Aux évènements, tardivement renommés guerre d’Algérie, à l'agonie de l’Algérie française, Belezi privilégie les origines et dissèque la conquête d’un pays, la spoliation d’un peuple par des colons grisés par le mirage d’un nouveau monde.

 Pourtant, Emma n’est en rien une prédatrice mais une exilée, une primo-arrivante, désireuse de se creuser une place, de façonner une vie décente pour elle et ses enfants, sans abstraire le partage avec les autochtones.

Inutile de préciser que le faux pas du titre relève d’un dur euphémisme, exposé ici par une interprète exceptionnelle.

Juillet 2024, Théâtre Transversal.

Article intégral ici : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2024/festival-d-avignon-2024-off/20-hectares-de-terre-algerienne.htm

 

 

La Bête

Ça commence par une conférence. Un certain Jean Durutty, employé dans un musée, invite un panel des spécialistes afin de disserter autour de la Bête du Ventoux, qui hante le flancs du Géant de Provence.

L’échange s’annonce passionnant. A ceci près que les éminences sont aux abonnés absents. Sans se démonter, l’organisateur entreprend de nous délivrer les résultats de ses investigations sur ce parent plus ou moins éloigné du Yéti, du Monstre du Loch Ness, de la Bête du Gévaudan.

La valeur évasive des échantillons, ajoutée aux erreurs de manipulations, scories sonores, digressions intimes, détournent la communication vers la confession voire la divagation.

Le texte de Karin Serres expose une légende, explore une rêverie, décrypte une solitude. La partition entre en écho avec une mise en son qui déterre des outils désormais antédiluviens.

Ce solo sonore intrigue, amuse, questionne. Il déstabilise parfois, toujours à bon escient. A l’instar de L’Homme sauvageLa Bête est un objet théâtral non identifié qui mérite toutes les attentions.

Juillet 2024, Le Totem.

Chronique complète : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2024/festival-d-avignon-2024-off/une-nuit-au-musee.htm

 

Crache

Une comédienne quitte la métropole pour rejoindre la Réunion de son enfance. Au périple aérien se greffe un vagabondage intérieur, à la recherche d’un verbe étouffé par les règles du bien parler.

Écrit et interprété par Valérie Paüs, Crache ! (physiologie d’une langue encombrée), tisse un dialogue avec soi-même. Un texte à la deuxième personne où des bourrasques créoles bousculent le bon français.

Entourée de plaques-psyché qui déforment les silhouettes, plus qu’elle ne les réfléchissent, la jeune femme zigzague entre les plantes des tropiques, les masques de scène, à la recherche de chaussures à son pied.

Quête d’un langage originel vestige d’une identité, chronique d’une passion pour les grands textes, Crache !.. relève d’une confession, d’une catharsis, enrobées dans un un dialogue avec soi-même, au gré d'un seule-en-scène qui agrège questionnements intimes et appétit de déclamation.

Crache ! (physiologie d’une langue encombrée), juillet, 2024, théâtre de l'Entrepôt-Mise en scène.

La chronique en entier c'est par ici : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2024/festival-d-avignon-2024-off/jusqu-au-bout-de-la-langue.htm

Photographies : Serge Gutwirth.

 

AYTA

Ressassement, catharsis, exultation.. ; interprète d’Olivier Dubois, Youness Aboulakoul emprunte beaucoup à Tragédie, pièce emblématique de ce même chorégraphe, créée lors du Festival d’Avignon 2012.

AYTA enserre six danseuses dans un décor-prison. A l’image de la pulsion répétitive qui s’altère à la marge, la danse participe de la transe et charpente une révolte, charpentée par la détermination de rester vertical(e) et ne jamais plier.

Février 2024, Hivernales de la danse.

Photographies : Thomas Bohl.

 

Le repas des gens

 Dans Le repas des gens, un couple s’aventure dans un théâtre proche de chez eux et pourtant si loin d’eux. La situation développe son insolite, au fil d’une rêverie, entre burlesque et mélancolie.

Amorcé dans le loufoque, le dîner oblique vers l'étrange, personnifié par le serveur qui, semble-t-il, met rarement le nez dehors ; puis dans une dimension traversée de fantômes et d’apparitions.

Le théâtre comme un refuge…, François Cervantès creuse cette approche dans Le repas des gens.  A cet effet, il utilise à merveille la profondeur du plateau des Halles, de laquelle émerge une ombre où se déclenche de douces précipitations. Les coulisses, la scène deviennent une aire d'élection pour la mémoire, les légendes, l’imaginaire. Une bulle où se colmatent la solitude, l’ennui qui plombent le quotidien.

Aux côtés de Raoul, son épouse (qui a une sacrée descente), ce régisseur agoraphobe ; au contact de ces merveilleux interprètes, l’on partage ce Repas des gens, avec grand plaisir et une profonde émotion.

Juillet 2024, Théâtre des Halles  

Intégralité de l'article : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2024/festival-d-avignon-2024-off/beau-comme-du-cervantes.htm

,Photographies : Christophe Raynaud de Lage.

 

 

Moman

Dans Moman, un enfant bombarde sa maman d’interrogations. Moins pour avoir des réponses que pour sentir une présence et assouvir sa crainte de l’abandon. Il faut dire que Popa était à ce point nerveux, qu’il est parti sans payer l’électrique. Et depuis, Fifille pousse un peu sur le Chasse cafard.

Les questions-réponses se doublent d’un spectacle familial. Noémie Pierre dirige ses parents dans une pièce de chambre, une partition syncopée, restituée par le timbre métallique de Hervé Pierre et les inflexions plus onctueuses de Clotilde Mollet (par ailleurs émérite violoniste).

Le duo distille une musique discrète, lueur tenace au cœur d'une nuit d’opprobre et de dénuement. Forte de la complicité parentale, ma metteure en scène mélange les genres. Hervé campe une matriarche essorée mais placide, Clotilde personnifie son Chipounet, à la crinière piquée à Harpo Marx (qui à la scène ou l’écran n’a jamais rien prononcé).

A la fin survient un coup de théâtre. Le temps a passé mais l’amour est toujours là. Pour le mal de mère, l’on repassera.

Jjuillet 2024, Scala Provence

En un clic l'article intégral : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2024/festival-d-avignon-2024-off/une-affaire-de-famille2.htm

Photographies : Thomas O'Brien.

 

Les Meutes

Dans une douceur méthodique, une voix féminine raconte une entrée dans la vie.

Le temps avance et le timbre prends corps. Emergence des premières griffes, éclosion des sensations. Expériences, émotions.

Des aventures à l’attachement, plénitude et communion ; c’est une belle histoire. Jusqu’à ce que s’amorcent les mécanismes de la tradition, qui tordent les idylles sous le joug des engagements.

Aux côtés de Gautier Boxebeld, Eloïse Mercier donne corps à cette chronique d’un malentendu.

L’art de l’accessoire : un sofa, une lampe, quelques ballons.., les constructions visuelles et sonores ouvragées par Vincent Béranger orientent les chapitres, de l'état des lieux vers les méandres du conte.

Au fil des Meutes, Eloïse Mercier, instille le mythe et la légende dans les anfractuosités du quotidien. 

Il s'exhale un vérisme envoutant ciselé par une orfèvre du frémissement

Juillet 2024, La Manufacture

Intégralité de l'article sur : https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2024/festival-d-avignon-2024-off/la-louve-et-les-chasseurs.htm

Photographies : Vincent Béranger.

 

Qui Som

 Qui som ? (Qui sommes nous) désigne une proposition multidisciplinaire qui avance par tableaux. Dans une fluidité parfaite, s’entremêlent chants, danse, pirouettes clownesques, exploits circassiens. A l’achèvement spectaculaire et la maîtrise de l’exécution, se greffe une approche picturale où les corps se figent dans la matière.

Les compositions sont souvent mémorables. L’effarant trio de ballerines contorsionnistes évoque les arachnides chères à Louise Bourgeois (1911-2010) ou les effigies organiques édifiées par Berlinde de Bruyckere. Les silhouettes de poussière renvoient aux potaches pétrifiés, affranchis de leur maître Tadeusz Kantor (1915-1990).

Et il y a ce tumulus mystérieux, malléable, tantôt mur végétal, parfois opaque tsunami qui, à chaque reflux abandonne quelques dépouilles ou rebuts indestructibles.

Derrière ce maelstrom où la pensée se combine à la poésie, la fantaisie à l’engagement ; se dégage une célébration de l’accomplissement collectif comme une digue ultime à l’effondrement.

Pas de doute, ces filles et ces gars sont en route pour la Cour d’honneur.

Juillet 2024, Festival d'Avignon;.

Article complet après les deux points :  https://www.michel-flandrin.fr/festival-d-avignon-2024/festival-d-avignon-2024-in/baro-on-the-level.htm

Photographies : Christophe Raynaud de Lage.

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