Les Graines du figuier sauvage
L'Iran de nos jours, Iman passe par un lieu de prières puis rentre chez lui. Il annonce à Najmeh sa nomination au rang d’enquêteur (juge d’instruction). Une augmentation, un lave-vaisselle, plus tard un logement de fonction.., l’épouse se réjouit de la promotion.
Narrateur méthodique, Mohammad Rasoulof structure Les Graines du figuier sauvage en trois actes. Le premier assure l’exposition à travers le portrait fouillé d’une famille bourgeoise.
Les manifestations protestataires et leur brutale répression, la disparition d’un revolver, basculent l’intrigue vers le suspense. Rasouloff développe un huis-clos à mi chemin entre les dissections d’Ingmar Bergman, le cinéaste (1918-2007) et les romans à énigmes chers à Agatha Christie (1890-1976). Des analyses comportementales à des expédients plus coercitifs, le troisième et ultime segment agrège thriller, western et tragédie antique.
Les graines de figuiers sauvages germent dans les écorces d’autres essences et finissent par étouffer l’arbre qui les abritent. Des cellules aux cellulaires, la métaphore recouvre la terreur endémique qui paralyse une société, tout comme elle scrute le désir d’émancipation qui infuse dans les têtes et les portables de la jeunesse iranienne.
Orfèvre du récit, alchimiste des genres, Mohammad Rasoulof, désormais installé en Allemagne, signe un précipité de cinéma digne des grands contes persans.
L'intégralité de l'article c'est par ici : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/des-cellules-et-des-cellulaires.htm
Photographies : Pyramide distribution.
The Substance
Ex-star du box office, Élisabeth Sparkle, en français Elisabeth Brillance (Demi Moore), anime un programme de fitness télévisé. Au moment de souffler ses cinquante bougies, elle est remerciée par Harvey (comme Weinstein), son directeur d’antenne (Dennis Quaid), en quête de chair ferme.
Au comble de l’effondrement, Élisabeth se procure The Substance, traitement régénérateur en vertu duquel, une semaine sur deux, elle devient Sue (Margaret Qualley), la nouvelle bombe qui explose les audimats.
Remember You are One, (Souviens-toi, tu es Une). Ne cesse de répéter la voix S.A.V du traitement.
The Substance nous propulse 140 minutes durant, dans la psyché d’une femme dégradée, ulcérée, désemparée. Coralie Forgeat traite le mal par le mal, l’excès par l’excès. A la pornographie arrogante des injonctions télévisuelles, répondent des représailles tonitruantes, détaillées dans une minutieuse obscénité.
The Substance dissèque une schizophrénie en un affrontement dantesque. L'accumulation relève du pilonnage soutenu, sans rien garder sous le pied. Tant et si bien que le climax final, en dépit de ses geysers écarlates, accuse un certain essoufflement. Quoi qu’il en soit, l’on s’extrait de The Substance, passablement groggy et bien essoré. Mais, peu à peu s’infiltre la certitude d’avoir partagé une bouffée de colère et encaissé, au passage, une déferlante de cinéma.
La critique complète : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/apologetique-de-l-exces.htm
Photographies : Metro films.
Emilia Pérez
Je voulais que ce soit presque tiers-mondiste : une comédie musicale émergente. Un truc de pauvre. Surtout pas Hollywood. Jacques Audiard définit ainsi son dixième long-métrage.
Avocate réputée, Rita se met, contre un pont d’or, au service de Manitas del Monte. Sa mission : organiser les dernières phases du changement de sexe entamé par ce parrain de la drogue, résolu à vivre enfin sa vraie nature.
L’opération accomplie, la conseillère orchestre la nouvelle vie de Emilia Pérez, soucieuse de rester proche de la veuve et des enfants de feu Manitas. Lors du troisième acte, Rita, devenue femme de confiance et de confidences, participe à la création d’une ONG vouée à la dénonciation des tueries perpétrées par les sicarios (tueurs à la soldes des cartels).
Chemin de rédemption, Emila Pérez s’attache à nouveau aux rapports de filiation-paternité qui irriguent, depuis ses débuts, le cinéma de Jacques Audiard. Plus inédite : l’hégémonie féminine. Soutenu par un carré de reines, l’explorateur du masculin signe une fresque édifiée sur des caractères exclusivement féminins.
A la fin, le destin reprend ses droits, comme à l’opéra. Toutefois, ce sont les Passantes de l’Ami Brassens qui baissent le rideau de cette rêverie extravagante, distinguée et transgenres : des stéréotypes d'expressions au plus intime des déterminismes.
Une fois encore, Jacques Audiard se trouve là où on ne l’attend pas.
Commentaire complet par là : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/transgenres.htm
Photographies : Pathé Cinéma.
L'Histoire de Souleymane
L'Histoire de Souleymane s’attache à un coolie-Deliveroo au cœur de Paris.
Un œil sur Google Map, un autre sur la chaussée, le livreur passe d’une piste cyclable à une voie de bus, ignore les feux rouge, esquive les quatre roues. Entre deux courses, il passe réclamer son du à celui qui, moyennant une commission de 30 %, lui sous-loue sa licence. Tard dans la soirée, il se précipite dans le métro, puis le RER afin d’attraper le bus qui le conduit vers l’asile de nuit.
L’Histoire de Souleymane colle aux basques de ce guinéen, acculé aux déplacements, astreints aux expédients. La tête dans le guidon, ce film en action documente la condition des demandeurs d’asile. Montrer, juste montrer, Boris Lojkine dresse l’état des lieux d’un système de castes où les clandestins sont à la merci des réguliers, ceux qui ont des papiers.
L’Histoire de Souleymane est un film à la fois épuré par ses partis pris et virtuose par sa réalisation. En témoignent ces courses vertigineuses qui placent le spectateur à la merci des klaxons, des feux rouges et des chaussées glissantes.
Porté par le charisme de son interprète, propulsé par une réalisation minutieuse et tendue jusqu’à l’étourdissant, L’Histoire de Souleymane apporte une contribution édifiante aux innombrables débats suscités par les questions migratoires.
A Paris à vélo, on dépasse les taxis. A Paris à vélo, on dépasse les autos.
Signe des temps : un abîme sépare la rengaine espiègle chantée, à l’orée des années 70, par Joe Dassin et la survie contre la montre de Souley, l’Uber illicite, à la vue de tous.
Article sans coupures : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/a-paris-a-velo.htm
Photographies : Trigon Films
Memory
Pistée par un inconnu, Sylvia actionne les verrous et serrures qui tapissent la porte de son appartement. Au petit matin, elle s’approche néanmoins du quidam, toujours prostré sur le trottoir. Après une brève enquête, elle découvre que, placé aux bons soins de son frère, Saul est atteint de démence précoce.
Avec Memory Michel Franco privilégie à nouveau l’observation à la dramatisation. Épaulé par l’engagement de ses interprètes : Jessica Chastain évolue sans maquillage et porte des vêtements qu’elle a elle-même achetés, le réalisateur travaille un vérisme romanesque qui entre en résonance avec l’ère #metoo ; mais constitue un contrepoint à la noirceur radicale qui imprègne sa filmographie.
Pour cette rencontre improbable entre un homme déserté par les souvenirs et une femme écrasée sous la souvenance, l'auteur délaisse le scalpel pour l’empathie. L’état des lieux devient une romance cabossée, restituée avec délicatesse et formidablement incarnée.
Méditation sur la mémoire qui s'étiole ou les réminiscences que l'on étouffe, sur les fragments du passé qui contaminent une existence, Memory s’apprécie comme une épure subtile sur l’incertitude des perceptions, même si l'on peut objecter qu'un homme qui, tous les matins écoute A Whiter Shade of Pale dans sa salle de bain, ne peut être foncièrement mauvais.
Critique intégrale : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/a-wither-shade-of-pale.htm
Photographies : Metropolitan Films.
Love lies bleeding
Lou (Kristen Stewart) tenancière d’un club de gym, s’enflamme pour Jackie (Kathy O’Brian), en transit vers une compétition culturiste.
Le corps accomplit la volonté de l’esprit.
Signe de l’époque : les année 80, âge d’or de la gonflette.., quelques flacons de stéroïdes suffisent pour que Jackie lui tombe dans les bras.
Rose Glass jette dans son creuset la fuite en avant de Telma and Louise (Ridley Scott 1991) et les polars rugueux, rigoureux des frères Coen (Blood Simple-1984, No country for old men-2007…). Cependant, des Voyages de Gulliver de Dave Fleischer (1939) à L’Incroyable Hulk ou L’Attaque de la femme de 50 pieds (Nathan Jura 1958), en passant par des fulgurances body horror dignes de David Cronenberg, les récurrences organiques se multiplient dans de délirants rapports d’échelles.
Mais c'est le boss Shakespeare qui surmonte la pièce montée, A l’instar de l’immense Will, capable de fondre tragédie, fantasmagorie, trivialité dans des épopées d’une profondeur inépuisable, Glass et Weronika Tofilska sa coscénariste, malaxent flammes lesbiennes et exactions patriarcales dans un effarant précipité. Certes la concoction flaire fort l’opportunisme. Mais, à l’image de la complexité malade qui lie Lou à son père, l’arrière goût se sublime dans une implacable dissection des passions humaines, en rupture avec les idéologies théoriques et la bien-pensance manichéenne (très tendances en ces temps modernes).
La douleur est la faiblesse qui s’échappe du corps.
Soutenu par de formidables interprètes, Love Lies Bleeding est un bonheur de film tordu.
Article complet : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/le-corps-accomplit-la-volonte-de-l-esprit.htm
Photographies : Métropolitan Filmexport.
Miséricorde
Saint-Martial, un village quelque part entre le Mont Aigoual, Millau et le Causse Méjean, Jérémie (Felix Kysyl) revient de la ville pour les funérailles du boulanger dont il fut le mitron. Sur place, Martine, son ex-patronne (Catherine Frot), lui propose de se remettre au pétrin.
Durant sa réflexion, rythmée par les cueillettes de champignons, le transfuge croise un prêtre adepte des balades en forêt. Interprété tout en litote par l’étonnant Jacques Develay, l’insolite homme d’église, confirme l’esprit du projet.
Onze ans après le succès de L’Inconnu du lac, Alain Guiraudie renoue avec le récit criminel et pour l'occasion se pique de sacré et se frotte au sacrilège. L’hédoniste du terroir ausculte une communauté en déshérence, au sein de laquelle, si rien ne se dit, tout se devine. Dans l’âpre et sublime humidité des automnes cévenols, par les ruelles d’une commune promise au silence, s’articule un drôle de drame.
Espiègle et droit dans ses bottes (de cantonnier), Guiraudie livre une cartographie des désirs qui baguenaude entre les registres, les élégances et le bon droit. L'ambiance poisseuse de l’ouverture cède la place à une intrication dangereuse, truffée d’intempestifs et pittoresques sous-entendus.
Miséricorde : pitié qui pousse à pardonner à un coupable. Miséricorde : attribut de Dieu qui explique son dessein du salut de l'humanité.
Extraites du Larousse, les acceptions résument l'humeur iconoclaste de ce conte rural qui délivre, en prime, le sacrement de confession le plus sidérant jamais filmé.
Tel est pris qui croyait s’éprendre et au Seigneur de retrouver ses brebis.
Chronique sans coupe : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/ite-missa-est.htm
Photographies : Les Films du Losange.
Madame Hofmann
J’ai croisé des milliers de vie dans une vie aime à déclarer le personnage central de Madame Hofmann. Sébastien Lifshitz s’attache à Sylvie Hofmann, infirmière chef dans le service oncologie de l’Hôpital Nord de Marseille.
Au même titre que ses récents documentaires : Les Invisibles (2012), Bambi (2013), Adolescentes (2019), le réalisateur privilégie le temps long. En l’occurrence, le film suit la pandémie liée au Covid et s'attarde sur ses effets collatéraux sur l'état des patients et les tableaux de service des soignants.
La caméra suit également Sylvie dans sa sphère intime, où s'expriment ses rapports à la défaillance (lors de l'ouverture du film, elle se confronte aux séquelles d'un AVC) et au trépas. On l'accompagne encore lorsqu’elle retrouve son compagnon, échange avec sa fille, converse avec sa mère, qui exerça elle aussi comme infirmière.
Après 40 années de service, Madame Hofmann décide de prendre sa retraite. La quête de succession se double d’une réflexion sur l’engagement et la place du travail dans le service public de la santé, institution exemplaire mais dévoreuse d’énergie et de dévouement.
L'interview du réalisateur est en écoute sur : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/des-milliers-de-vies-en-une-vie.htm
Photographies : Agat Film-Arte France.
Santosh
Suite au décès de son époux, mortellement blessé lors des émeutes de Nerhat (cité à majorité musulmane), Santosh accepte un recrutement compassionnel. Par cette procédure spécifique à la police indienne, la veuve de 28 ans hérite du poste de son époux et conserve au passage l’appartement alloué par l’état.
Engoncée dans son uniforme, la nouvelle recrue décode un monde inédit, clanique, peu avare en saillies sexistes ou islamophobes. Son incorporation lui permet, par ailleurs, de tester le prestige de la fonction et profiter tantôt, d’une pratique bien huilée de la corruption.
J’ai tourné cette fiction parce qu’il est impossible de réaliser un documentaire sur la police indienne.
Anglaise d’origine indienne, rompue depuis vingt ans au cinéma du réel, Sandhya Suri se frotte à l'imaginaire. Santosh est donc un film policier, pas un thriller tendu mais un suivi d’enquête, propice à l’étude de milieu.
L’intelligence dramatique résonne avec l’accomplissement visuel, tout au long d’un récit d’émancipation, à la fois chronique intimiste et inventaire politique de la plus grande démocratie du monde, aujourd’hui passablement fracastée.
Santosh se clôt sur un épilogue ferroviaire et stroboscopique. Un effet élémentaire et néanmoins somptueux qui scelle dans les mémoires le charisme interdit d’un être seul, désormais affranchi.
Critique complète : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/agent-compassionnel.htm
Photographies : Tahad Ahmad
Les Carnets de Siegfried
Les Carnets de Siegfried dresse la biographie du poète-écrivain Siegfried Sassoon (1886-1967) et constitue l'ultime opus de Terence Davies (10 novembre 1945-7 octobre 2023).
La barbarie de la première guerre mondiale, les décès de son jeune frère et d’un très proche ami, pousse le sous-lieutenant à jeter sa Military Cross et imprègne ses écrits d’un pacifisme intense. Démobilisé, Sassoon se partage entre journalisme et littérature. Dans une société qui criminalise l’homosexualité, il affiche une relation tourmentée avec Ivor Novello, star du music-hall. En 1933, contre toute attente, il convole avec Hester Gatty, qui lui donne un fils. A la fin de son existence, Sassoon se convertit au catholicisme, comme ultime palliatif à sa neurasthénie.
Terence Davies additionne ses prédilections pour le documentaire (les images de combats tirées d’actualités d’époque), les incisions musicales (les refrains signes du temps) et, enfin, l’anatomie de la mémoire. A contretemps des antiennes résilientes, Les Carnets de Siefried chronique la charge inéluctable des souvenirs sur un chemin de vie.
Sassoon ne passe jamais à autre chose, il en découd avec les fantômes et afflictions qui lézrardent sa mémoire. Cette lutte perdue d’avance se déploie dans un raffinement, voire un panache, qui éludent les ressassements compassés.
Transpercée de chagrin, l’image finale atteint l’inoubliable et confirme qu’avec Terence Davies, la nostalgie vient de perdre le plus éminents de ses orfèvres.
Chronique intégrale : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/philippique-de-la-resilience.htm
Photographies : Condor Films.
Daaaaaali
Rencontre (inévitable) entre le plus excentrique des surréalistes et l'un des plus extravagants (et le plus concis) des réalisateurs en activité, Daaaaaali s’avère, on s’en doute, plus proche de la rêverie que de l’autobiographie.
Le nouveau film de Quentin Dupieux salue autant qu’il emprunte à Luis Bunuel. Cependant, si les deux premiers opus du cinéaste : Un chien andalou (1929), L’Âge d’or (1930) furent coécrits par le peintre, Daaaaaali puise plutôt dans ses œuvres tardives, composées avec Jean-Claude Carrière.
Une jeune journaliste (Anaïs Demoustier) tente d’interviewer le Maître, qui se dérobe au seuil de chaque rendez-vous. L'on pense à Cet obscur objet du désir (1977), dans lequel l’honorable Mathieu (Fernando Rey) tente de posséder une jeune danseuse qui, sans cesse, l'envoute avant de s’évaporer.
Improvisateur raffiné ou histrion pour une fois confronté à un caractère qui le dépasse, Édouard Baer et Jonathan Cohen tirent leur épingle du jeu de rôle. Obstinée, frétillante comme jamais, Anaïs Demoustier s’affirme comme l’égérie de son fantasque metteur en scène
Délibérément sans queue ni tête, Daaaaaali délivre une apologétique moins à l’artiste illuminé qu’au personnage halluciné, authentique pionnier de l’autopromotion, pas toujours drôle mais jamais ridicule. A cet effet, convoquer Bunuel et Monty Python, élargit l’éloge des génies loufoques et séditieux, desquels Quentin Dupieux se revendique, en héritier, certes inégal et néanmoins légitime.
Article sans amputation : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/salvador-surmultiplie.htm
Photographies : Diaphana Distribution.
Le Royaume
Pour son premier opus, Julien Colonna passe au prisme d’un regard féminin, les paysages et les coutumes de L’Île de Beauté.
Lesia (Ghjuvanna Benedetti) dépèce la dépouille d’un sanglier. Perlé de sang, le visage reflète une endurance, entre dégoût et détermination. Aussitôt après, l’adolescente reçoit des compliments aux allures d’adoubement. La scène d’ouverture burine un manifeste : il sera question de chasse, de barbarie, de fatalité.
Ainsi, les grandes vacances de Lesia sont interrompus par sa tante, qui la rapatrie dare-dare chez Pierre-Paul, son père (Saveriu Santucci), terré dans une villa au cœur du maquis. On le capte dans l’instant : entouré de sa garde rapprochée, le géant laconique est un chef de clan aux prises avec les autorités et d’obscures rivalités.
Amorcé sous la pression du thriller, Le Royaume s’attarde sur une partie de pêche puis se dilue dans un récit d’errance. Le titre royal, le flou entretenu sur les activités du clan, le magnétisme incandescent du couple central, convoquent Shakespeare, King Lear et sa fille Cordélia.
Précision importante : le père de Julien Colonna n’est autre que Jean-Jérôme Colonna, (dit Jean-Jé) chef de clan, décédé en 2006, sur les routes de la Corse-du-Sud. Avec Le Royaume, son héritier démontre que le cinéma demeure une alternative aussi louable que convaincante, à l’emprise du Fatum et la charge de l’hérédité.
La critique intégrale c'est par ici : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/la-malediction-dans-l-ile.htm
Photographies : Ad Vitam Distribution.
Immaculée
Suite à la fermeture de la colonie religieuse qui l’hébergeait outre-Atlantique, Cecilia trouve refuge dans un congrégation quelque part en Italie. Ses vœux prononcés, la nonne s’attelle aux activités de l’hospice, dédié aux religieuses en fin de vie. La transfuge s'avère quelque peu chavirée par la solennité doloriste de l'institut qui conserve, relique suprême, un clou arraché à la croix du Christ.
Annonciatrice d’une bande de terreur à base de revenants et d’esprits frappeurs, l’intrigue prend une dimension inattendue lorsque Cecilia se découvre dans le même état que la Vierge Marie.
Immaculée est un film de couvent dans lequel Satan reste aux abonnés absents. Seule contre toutes les mitres et soutanes, l’abbesse soutient un affrontement retors, haletant, jusqu’à l’épilogue où l’actrice Sydney Sweeney transfigure un plan séquence à damner le plus illuminés des évangélistes.
Percutant, stylé, vent debout contre les fanatismes et les bastions patriarcaux, Immaculée stigmatise et assène pour le compte les dérives du Sacré.
Un Bon Dieu de sacré bon film.
Article sans césure : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/vierge-porteuse.htm
Photographies : Métropolitan Films.
Los Delincuentes
Mieux vaut trois années en prison que 25 ans dans une banque.
Fort de cette certitude, Romàn détourne 650 000 dollars lors d’un transfert vers le coffre situé au sous-sol de son agence. Le plan est simple : confier le magot à un tiers, se laisser appréhender, purger une peine réduite pour bonne conduite, enfin récupérer le pactole qui garantira à chacun un avenir paisible.
Le stratagème s’amorce comme prévu. A ceci près que Moràn, collègue de travail et second comparse, est mis dans la boucle après le larcin. Le bonhomme, à priori sans histoire, se retrouve dépositaire d’une fortune contre son gré. Planqué au fond d’une penderie, le sac gorgé de billets plonge le receleur dans un inconfort endémique qui dérègle son quotidien.
Los Delincuentes associe polar urbain et flânerie pastorale. L’intrigue se ramifie selon une arborescence, certes foisonnante mais respectueuse d’une logique dans l’invraisemblance. Affleure l’appétence pour l’ironie fataliste, l’humeur romanesque, dénominateurs communs à la nouvelle vague du cinéma argentin. Dans les entrelacs de péripéties encourues par ces nouveaux Pieds Nickelés, l’on songe aux contes gigognes concoctés par le franco-chilien Raoul Ruiz (1941-2011), dépourvus hélas, de l’intelligence maniériste de ses mises en scène.
Enfin et même si le film fut conçu avant les dernières élections présidentielles, il est impossible de ne pas établir un lien entre cette fable financière et la loi Omnibus, portée par Javier Milei, nouveau leader maximo libertarien, désireux de couper les vivres à l’INCAA, (centre national de la cinématographie argentine) et de privatiser l’enseignement du cinéma.
Ce n’est pas parce qu’il y a un dingue au pouvoir que je vais m’arrêter. Si Jafar Panahi, en Iran…, peut filmer dans un appartement ou un taxi. Alors moi je pourrai.
Ainsi s’exprime Rodrigo Moreno. Sa détermination est aussi salutaire que son film délectable.
Citations extraites du journal Le Monde du 27 mars 2024.
Critique complète : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/la-belle-et-les-banquiers.htm
Photographies : Arizona Distribution.
Borgo
De la centrale de Fleury Mérogis au centre pénitentiaire de Borgo, de la région parisienne vers le sud de Bastia, pour Melissa (Hafsia Herzi) la nouvelle affectation constitue un nouveau départ pour elle, ses deux filles et Djibril son compagnon.
Dans la prison à régime ouvert (les cellules restent déverrouillées tout au long de la journée), la matonne assure ses fonctions tout en veillant que ça se passe bien. Ainsi, dans le quartier des hommes, la surveillante devient Melissa, tout simplement.
Quatre ans après La Fille au bracelet, Stéphane Demoustier livre un nouveau polar, doublé d’une étude milieu et d’une énigme de caractère. La Fille au bracelet atteint le zénith de sa tension lors d’un procès d’assise, Borgo culmine son suspense, durant le face à face entre Melissa et les enquêteurs.
Hafsia Herzi survole la confrontation. D’une autorité attentive vis à vis des prisonniers, Melissa s’avère laconique, infaillible, face aux coïncidences accablantes brandies par les policiers.
Outre l'omniprésence charismatique de son interprète, Borgo brille par ses mises à distance. Aux même titre que les mafieux chers à Martin Scorsese, les truands corses agrémentent leur brutalité d’une faconde toute méditerranéenne.
Dépourvu de morceau de bravoure, si ce n’est la séquence d’ouverture, Borgo tient néanmoins en haleine par sa solide construction, son dosage des registres, et l’insaisissable complexité de son caractère principal. Hafsia Herzi confirme un aplomb d’exception, tout au long d’une réalisation qui relève moins de la mise en scène que de la mise en selle.
Article intégral : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/melissa-et-ses-mysteres.htm
Photographies : Le Pacte.
La Zone d'intérêt
Les Höss forment une famille sans histoire. Apprécié de ses supérieurs, Rudolf, le père (Christian Friedel), est un cadre soucieux d’accélérer le traitement des unités. Hedwig, son épouse (Sandra Huller), veille à l’éducation des leurs quatre enfants et dirige le petit personnel avec autorité. Le couple compose un foyer qui exhale le charme discret d’une bourgeoisie.
A ceci près que nous sommes en 1942, que la villa de rêve se situe au pied de l’enceinte barbelée d’Auschwitz, camp d’extermination dont Rudolf Höss assure la direction.
Adapté du roman publié en 2016 par le britannique Martin Amis, La Zone d’intérêt aborde la Solution finale, du point de vue des tortionnaires et plus particulièrement du couple formé par le gouverneur et sa conjointe, tous deux parfaitement au fait des activités en lice dans le centre d’internement.
Petits arrangements avec le mal.
Avec ses caméras de surveillance qui quadrillent le lebensraum des Höss, Jonathan Glazer, aborde l’ignominie ordinaire dans une neutralité distanciée. Dommage que le réalisateur, venu du vidéo-clip et de la publicité, parsème des effets de style, étire des fondus au noir, qui surdramatisent autant qu’ils abrasent ses partis pris et la confiance fondée sur la clairvoyance du spectateur.
J’entends respirer un monstre, j’entends s’affaiblir le souffle de la démocratie. Extraite du journal Le Monde du 7 février dernier, la phrase de la Elfriede Jelinek (prix Nobel de littérature 2014), qualifie notre époque comme elle résume très bien La Zone d’intérêt.
Article sans coupure : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/petits-arrangements-avec-le-mal.htm
Photographies : Le Pacte distribution.
L'Homme aux mille visages
Elles vivent au Brésil, en France, en Pologne. A priori toutes avaient peu de chances de croiser. Alors survint Sonia Kronlund.
Productrice des Pieds sur terre, émission axée sur la recension de récits intimes et diffusée en début d’après-midi sur France Culture, la documentariste entre en relation avec une femme dupée par un mythomane. Celle-ci la connecte avec d’autres victimes du même fabulateur, décidément grand voyageur.
Tel est le point de départ de L’homme aux mille visages.
Le film prend l’allure d’une enquête menée par la réalisatrice, elle-même, à l’instar de Michael Moore (Fahrenheit 9/11 Palme d’or Festival de Cannes 2004) ou François Ruffin (Merci Patron! 2016), très présente à l’écran.
L’homme aux mille visages avance comme une enquête à charge, qui, cependant, taquine les conquêtes d’un séducteur-caméléon, appliqué à livrer une image et des attitudes conformes à la fantasmatique de ses proies.
Habilement construit sur les mystères et les périples de ce bonimenteur bigger than life, le récit lui attribue un prénom : Ricardo, puis une physionomie, avant le climax final, qui prend la forme d’une entourloupe aux mensurations du bonhomme et dans la continuité des meilleures comédies à suspense.
Réquisitoire sévère, recherche coriace, catharsis joyeuse et néanmoins haletante, L’homme aux mille visages est un joyau du documentaire romanesque, qui se clôt dans un sourire justicier dès plus revigorants.
Chronique complète : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/cher-ricardo.htm
Photographies : Pyramide Distribution.
Beettlejuice-Beettlejuice
Trente six années après ses premiers méfaits, Beetlejuice le bio-exorciste revient sur les grands écrans.
Pour l’occasion, ils sont presque tous là. Michael Keaton se glisse à nouveau dans la défroque de l’arlequin trash. Wynona Rider et Catherine O’Hara reprennent les rôles de Lydia Deetz et sa mère Delia.
Un enchaînement de déboires contraint Lydia de convoquer l’infâme Beetlejuice qui, terré au fin fond du Purgatoire, conserve sa photo dans son atelier clandestin. L’embobineur est toujours aussi facétieux et mal léché. Mais (Me-too oblige) ses mains sont moins baladeuses. Il faut dire qu’après s’être déballée et ré-agrafée, Delores, son ex (Monica Bellucci), ourdit une traque vengeresse.
Beetlejuice-Beetlejuice s’adresse en priorité à un auditoire dont la culture dépasse le territoire ignare des messageries en ligne.
Tim Burton convoque les icones amassées dans son Panthéon intérieur et empile les références d’un réconfortant éclectisme. Ainsi, Barbara Steele, actrice découverte par Mario Bava dans Le Masque du Démon (1961), croise Marie Curie, scientifique radioactive. La Sorcière sanglante (Antonio Margheriti 1964) Carrie (Brian de Palma 1976), Le Monstre est vivant (Larry Cohen 1974) ponctuent ça et là les péripéties.
Conçu pour un auditoire adulte et éduqué, par l’âge ou par les inclinations (la curiosité n’attend pas le nombre des années), Beetlejuice-Beetlejuice séduit, émeut et emporte par sa nostalgie savante, élégante et débridée.
Décidément, même si ce n’était pas forcément mieux, avant c’était quand-même vachement bien.
Critique in-extenso : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/we-re-all-bob.htm
Photographies : Warner Bros.