Les préférés du préposé 2022

Actualité du 20/12/2022

LEILA ET SES FRERES

Leila et ses frères s'ouvre dans la panique et le fracas d'une révolte ouvrière suite à la fermeture brutale d’un laminoir. Allergique aux conflits, Alireza (Navid Mohammadzadeh) s’échappe et réintègre sa famille où végètent sa sœur et ses trois frères, sous la coupe d’une mère indifférente (Nayereh Farahani) et d’un père (Saeed Poursamim) à la santé aussi mauvaise qu’inoxydable. 

L’intrigue se cristallise sur l’espace-boutique disponible dans un centre commercial en pleine activité. En vue de l’acquisition, chacun vend, cède, mutualise ses économies. Leila, la sœur (Taraneh Alidoosti) incite, oriente, conseille et établit la feuille route du projet. Pour boucler le tour de table, la fratrie sollicite le paternel qui, tel Harpagon, revendique une cassette remplie de 40 pièces d’or. Mais un évènement bouscule l’opération. 

Il s’ensuit une série de péripéties dramatiques, drolatiques, parfois sévères qui convoquent le vérisme désenchanté des Vitelloni (Federico Fellini 1953) et l’aliénation désespérante d’Affreux, sales et méchants (Ettore Scola 1976). Admirablement construite et interprétée, Leila et ses frères est une chronique familiale tendue, imprévisible, au dessus des abîmes qui séparent les convictions (ici masculines) de la réflexion (en l’occurrence féminine). Auteur l'an dernier La Loi de Téhéran, Saed Roustaee signe un second film d'une facture différente mais, une fois encore, d'une densité exceptionnelle. Que lui est ses interprètes préservent leur liberté.

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L'OMBRE D'UN MENSONGE

Les landes d'Ecosse, Phil (Bouli Lanners) vit seul avec son chien et ses vynils. Dans la journée il donne la main au voisinage, fixe une clôture, rameute les moutons. Certains soirs il écluse quelques pintes au pub du coin. Au matin d’une de ces virées, le corps de Phil est découvert inerte sur la plage. Plus tard, on le retrouve dans une chambre d’hôpital. Phil a été victime d’un AVC. Les facultés motrices sont intactes mais la mémoire s’est éparpillée. C’est donc dans une totale hébétude que Millie, fille et sœur de ses principaux employeurs (Michelle Fairley), le ramène à la maison. 

On connaissait Bouli Lanners, filmeur paysagiste, attentif aux nuances chromatiques et aux lignes de fuite. L’ombre d’un mensonge révèle un conteur qui jauge les ellipses, les ruptures de ton, les contemplations; qui nourrit un mystère à travers un regard furtif, une bribe de phrase, un geste ébauché. L’habileté narrative culmine au machiavélisme mais au service du bon et de l’émotion.

En rupture avec ses histoires d’hommes, Bouli Lanners compose, à travers Millie- Michelle Fairley, le portrait d’une femme interdite, impeccable dans son désarroi. L’ombre d’un mensonge s'aligne à son image: tirée à quatre épingle, sans aspérité visible, d’une parfaite maîtrise mais néanmoins frémissante jusqu'au bouleversant. Comme quoi les (plus) belles histoires se jouent des âges et respirent le secret.

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ENNIO

11 jours d’entretien, plus de 7 années de recueils de témoignages, recherches d’archives, visionnages, montage.., à l’arrivée un documentaire de 2H36. Il n’en fallait pas moins pour cerner Ennio (Morricone), musicien qui, pour le cinéma, orchestra 528 titres, longs et courts, en 60 ans de carrière.

Giuseppe Tornatore signe un film fleuve et singulier, plus proche de l’autobiographie que de l’hagiographie. Ici pas de commentaire off mais une voix, une seule : Ennio raconte, mieux commente Morricone. La performance reste d’autant plus remarquable que le maestro fuyait les interviews, en proie à une timidité et une modestie qui affleurent tout au long de la projection. Au diapason de la confiance qu’il lui accorde depuis Cinéma Paradiso (1988), Giuseppe Tornatore étoffe le récit de témoignages iconiques: Leone, Eastwood, Tarentino.. et d’une fastueuse iconographie. Ce travail titanesque dessine un panorama artistique et sociologique qui convoque aussi bien l’histoire de l’art (les mutations musicales, les contingences du cinéma) que la reconstruction de l'Italie au sortir de la guerre. 

Je déteste la mélodie. Suite à cette confession finale, l'on éclate de rire et l’on bât des mains, transporté de reconnaissance pour un maestro qui nous apporta tant de bien, toujours dans l'invention, la fantaisie et l’intelligence.

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CONTES DU HASARD ET AUTRES FANTAISIES

Contes du hasard et autres fantaisies juxtapose des courts métrages, tournés par Ryüsuke Hamaguchi avant et durant la réalisation de Drive my car (2020). Le projet synthétise plusieurs nouvelles du maître écrivain Haruki Murakami, trois histoires induites par des coïncidences. Dans Magie, Tsugumi se confie à Meiko.  Au fil de la confession, cette dernière devine que sa meilleure amie est tombée amoureuse de l’homme qu’elle vient de quitter. Au commencement de La porte ouverte, Nao découvre qu’elle et son jeune amant ont suivi les cours du même enseignant, par ailleurs écrivain. Dans la foulée elle accepte de participer à un complot sexuel à l’encontre de celui dont elle fut la disciple. Encore une fois s’ouvre sur une rencontre inopinée. Le long d’un escalator, Natsuko reconnaît celle qui, quelques années auparavant, bouleversa son adolescence.

Conçu pendant un confinement, cet ultime épisode imagine qu’un virus informatique met hors d’usage les réseaux de communications. L’humanité se trouve alors dans l’obligation d’à nouveau se parler et s’écouter. Cette spéculation n’est pas la moins lumineuse des idées qui innervent les croquis et esquisses de Ryüsuke Hamaguchi, es-orfèvre de la conversation. La brièveté des matériaux induit une rythmique et un souffle dramatiques nourris de coïncidences et autres ambivalences. Les Contes du hasard et autres fantaisies amusent, intriguent, interpellent et, à l’arrivée, distillent un plaisir délicat, profond et persévérant.

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VORTEX

Au centre de Vortex : un couple. Elle (Françoise Lebrun), exerça comme psychiatre clinicienne, lui (Dario Argento), écrit des histoires ou des théories inspirées par ses rêves et ses cauchemars. Ils ont connu des hauts, surmonté des bas, ils ne sont plus jeunes mais toujours ensemble. Ils vont et viennent, de pièces en pièces, le long des couloirs de leur tanière, aux murs, au parquet recouverts de livres, de documents, d’objets comme il s’en accumule tout au long d’une existence. Elle perd la mémoire, il est ralenti. Parfois le fils (Alex Lutz) leur rend visite, pour prendre des nouvelles, pour évaluer l’extension de la catastrophe. 

Gaspard Noé apprécie les contraintes des dispositifs, au risque fréquent que ceux-ci prennent le pas sur le propos qu’ils sont censés développer. Vortex satisfait à la triple spécificité du plan séquence, de l’écran partagé et de (la quasi) unité de lieu, mise au service de l’observation méthodique d’une déréliction. 

Même si vers la fin, il renoue avec sa misanthropie nihiliste et surplombante, Gaspard Noé surprend par l’empathie qu’il manifeste à l’égard des personnage. Elle se dissout, lui s’accroche mais sous eux, le vortex ouvre un gouffre inexorable. A l’épilogue chacun réintégrera sa case, à priori pour toujours.  Comme le susurre Françoise Hardy : On est bien peu de chose.

24 ans après Seul contre tous, Vortex s’impose comme l’accomplissement d’un éternel sale gosse désormais à l’aube de la soixantaine. Voila un film audacieux, magistral, bouleversant.

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AS BESTAS

As bestas (Les Bêtes) nous transporte de nos jours dans un petit village de Galice. Antoine (Bruno Ménochet) et Olga, son épouse (Marina Foïs) exploitent un potager bio et retapent des bergeries en ruine. Le couple conduit son affaire, sous le regard fermé de Xan (Luis Zahera) et Lorenzo (Diego Anigo), leurs voisins éleveurs. Quelques temps auparavant Antoine signa une pétition oblitérant l’installation d’éoliennes sur la commune, au grand dam des riverains privés d’un manne financière inespérée. 

Masse de chair surplombée d’un visage atone, Denis Ménochet se fond dans la galerie des taiseux énigmatiques qui, de l’enquêteur bègue, protagoniste de Que Dieu nous pardonne (2016) à la mère fugueuse, figure centrale de Madre (2019), jalonnent le cinéma de Rodrigo Sorogoyen. Traits émaciés, raie sur le côté, Marina Foïs n’est pas en reste lorsqu’elle prend en charge le litige et oppose à ses désormais ennemis, une détermination moins frontale, plus méthodique et tout aussi irrévocable.

Deux univers se détruisent dans un monde qui meurt, Rodrigo Sorogoyen met son intelligence narrative et son attrait pour les fortes personnalités, au service de l’analyse systémique de la montée d’une aversion jusqu’à des limites insoupçonnées. As bestas est radical et magistral, décidément Rodrigo Sorogoyen est un très très grand.

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LES CRIMES DU FUTUR

Un futur proche, assisté par Caprice (Léa Seydoux), compagne-ex chirurgienne, Saul Tenser (Viggo Mortensen) s’adonne à des performances au cours desquelles il extirpe de ses entrailles des tumeurs artistiques, symptômes-symboles d’une éventuelle beauté intérieure. Ces sabbats sont vaguement canalisés par un détective (Welket Bungué) plus intrigué que coercitif et un couple de fonctionnaires (Kristen Stewart, Don McKellar) du Registre National des Organes, service à l’efficacité érodée par des moyens insuffisants.

Les Crimes du Futur réactivent la période horrifique de David Cronenberg, qui décline une suite palpitante de mutations au cours desquelles les organismes réagissent et s’adaptent à divers dérèglements. Chez Cronenberg l’humanité n’est pas condamnée à disparaître mais à se transformer. L’évolution induit de nouveaux codes : la douleur devient un refuge, le désir, le plaisir s’accommodent mal du sexe à l’ancienne (sic).

Les Crimes du Futur s’assimilent à la rêverie prophétique d’un maître cinéaste. Hermétique au prêt à penser, le visionnaire agrémente ses colères, enlumine ses obsessions d’un humour en creux, révélateur d’une fantaisie désenchantée et d’une infinie intelligence.

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REVOIR PARIS

Une soirée d’automne, Mia (Virgine Efira) rejoint son compagnon (Grégoire Colin) dans un restaurant parisien. Un coup de fil : Max doit rejoindre d’urgence son service hospitalier. Mia rentrera seule en moto. Sous l'orage elle s’abrite dans une autre brasserie. Un stylo qui bave, un passage aux toilettes. Puis la terreur, l’horreur. Le trou noir.

Reconstruire, Mia s’attelle à reconstituer la soirée dont la chronologie fut dispersée par la froide brutalité de l’attentat. Dans cette quête d’indice, l’enfer est dans les détails.  Au gré de son introspection factuelle, Mia revisite sa vie, de même qu’elle découvre l’existence d’une association et de sites dédiés aux victimes et leurs proches.

Mia la rescapée prolonge l’exploration des esprits sous tension qui nourrit le cinéma d’Alice Winocour. De la sidération à l’éventuelle résilience, Revoir Paris trace un trajet initiatique qui s’ancre dans l’intime, s’élargit au collectif et atteint le politique. Personnellement affectée (le 13 novembre 2015 son frère fut parmi les otages du Bataclan), Alice Winocour élabore une géographie post traumatique dans laquelle chacun négocie de petits arrangements avec la perte, la douleur, l’incompréhension. Son regard puise sa force dans le cinéma.

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LE SERMENT DE PAMFIR

Pamfir (Oleksandr Yatsentyuk) revient au village dans la région de Tchernivtsi à l’ouest de l’Ukraine. Le colosse repartira après la Malanka, fête carnavalesque célébrée chaque début d’année. Pamfir enlace son épouse et embrasse son fils pour lequel il est parti gagner l’argent nécessaire à ses études. Dans son adoration mutique, l’adolescent prend une initiative qui, selon lui, retiendra son paternel mais en réalité, le contraint à retomber dans d’anciens travers.

Dès son ouverture Le Serment de Pamfir saisit, envoûte au fil d’une continuité sinueuse qui scrute la pénombre hivernale, fend la lumière des phares, s’attarde à la lueur des âtres, inspecte les éclats (masques de pailles, fusées d’artifice) d’une fête en préparation. 

Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk porte à un haut niveau l’art de l’hybridation. Dans son creuset le réalisateur additionne une sensualité truculente aux menaces du film noir. Il y instille le souffle de l’aventure et les méandres des conspirations. Forêt mystérieuse, tunnel opaque, Pamfir le bon géant contre Oreste l’ogre perfide, le conte de fée s’incruste dans des péripéties clôturées par un sabbat carnavalesque aussi grotesque que désenchanté.

Le Serment de Pamfir fut réalisé, bien sur, avant l’invasion russe. Auparavant et souvent comme ailleurs, la corruption et les passe droits étaient de mise jusque dans ses contrées les plus isolées. La preuve en est livrée dans cette fable simplement éblouissante.

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THE SOUVENIR

The Souvenir est né dans les années 80 lorsque Joanna Hogg imagina mettre en film un épisode de sa vie sentimentale. Le projet matura plus de 30 ans. Le premier segment chronique la liaison toxique entre Julie (Honor Swinton Byrne), étudiante en cinéma et Anthony (Tom Burke), dandy arrogant, vaguement diplomate, toxicomane avéré. La relation se restitue au fil d’une chronologie ballottée par des éclats de mémoire qui ressurgissent selon la plus empirique des logiques. 

Dans The Souvenir Part 2, Julie modifie dans l’urgence son film de fin d’étude qui devient la catharsis de sa souffrance amoureuse. Ce changement de cap induit les doutes des enseignants, l’agacement de certains techniciens, le dépit d’une actrice éconduite. Timide mais résolue, Julie ne lâche rien, le film sera dans la boîte.

Joanna Hogg gratte le vernis. Lucie, alias le visage de porcelaine de Honor Swinton Byrne (Une révélation!) dissimule une force de caractère nourrie de doutes et de convictions. Ce qu’elle traverse n’est en rien une success story réductrice et lénifiante mais un trajet de résilience, semé d’embûches, de compromis et d’accomplissements. Par delà l’évanescence des lumières et la maîtrise stylée des émotions, The Souvenir Part 1&2 est un précipité de mélancolie qui respire une âpreté et une profondeur insondable, excitante and so typically british.

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DON'T WORRY DARLING

Il y a de la beauté dans le contrôle. Il y a de la grâce dans la symétrie.

Les années 50, quelque part dans le désert de Californie, les habitants de Victory coulent une vie solaire et bien réglée. Après un breakfast nappé de tubes fredonnants, les messieurs rejoignent leur projet ultra secret, dans l’usine aménagée à l’intérieur d’un pic montagneux (comme c’est souvent le cas dans les bandes SF des fifties). A la maison les épouses ménagères rangent, astiquent, mitonnent puis aérobiquent et papotent jusqu’au retour du bien aimé.

Épouse comblée, Alice (Florence Pugh) est parfois étourdie par les visions récurrentes d’une pupille qui se dilate et se contracte ad libitum. Les malaises s’étendent lorsque la jeune femme pousse trop loin vers l’usine interdite.

Don’t Worry Darling puise dans la paranoïa bariolée du Prisonnier (1967) série imaginée, interprétée par l’inoubliable Patrick McGoohan et l’angoisse ouatée de Stepford Wives, best seller d’Ira Levin, adapté à l’écran en 1975 par Bryan Forbes.

Loin des des pamphlets théoriques et des incantations simplificatrices, Olivia Wilde déroule un dystopie incisive, dont les ramifications s’étendent de l’anatomie d’un couple, jusqu’au drame romantique. Décidément le bonheur de l’une ne réside pas toujours dans les intuitions de l’autre.

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L'INNOCENT

Au grand dam d’Abel (Louis Garrel), Sylvie, sa mère (Anouk Grinberg) convole avec Michel (Roshdy Zem) rencontré dans une maison d’arrêt. A sa libération le marié offre à son épouse un local dans le vieux Lyon afin d’y installer une boutique de fleuriste. Michel s’imprègne d’art floral sous l’étroite surveillance d’Abel, épaulé par Clémence (Noémie Merlant), sa confidente-poisson pilote. Abordés dans le loufoque, les ressassements d’Abel montent en tension, lorsque le trentenaire neurasthénique découvre (secret de Polichinelle) que Michel n’est pas un repenti.

La comédie policière aligne des caractères à la fois emblématiques et subtilement dessinés. Derrière ses minauderies fantasques Sylvie dissimule une sagacité inquiète, Rattrapé par son passé, Michel manifeste pour sa vie bourgeonnante, un intérêt sincère et appliqué. Quant’à Clémence-Noémie Verlant épatante de drôlerie, sous ses saillies farfelues bouillonnent des sentiments indéfectibles.

L'Innocent mélange les genres dans un tissu de variations autour de la vérité et du mensonge, de l’aveu au jeu, du simulacre au cri du cœur. Le tricotage atteint son achèvement lors du hold-up, précipité virtuose de suspense, de burlesque et de climax sentimental.

Cerise sur la tableau : les lumières d’hiver tantôt mystérieuses, parfois protectrices, toujours entre chien loup. Sur ce terrain Garrel le fils, rejoint un père attaché à tout jamais aux émulsions argentiques et leurs nuances infinies.

Une vraie belle surprise.

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HISTOIRE DE MA FEMME

Peut-on imaginer ouverture plus romanesque ? Un café parisien au cœur des années 20, assis à une table, Jakob Stöor (Gijs Naber) décide d’épouser la première femme qui franchira la porte. Question charme et beauté, le hasard n’agit pas dans la demi mesure, lorsque Lizzy (Léa Seydoux) se pose à quelques mètres du parieur. La belle française accueille la demande dans un sourire amusé, énigmatique, pas vraiment réprobateur. Dès la séquence suivante elle et lui sont mariés. Ils ne reste qu’à s’aimer.. .

Jakob est capitaine au long cours. Seul maître à bord, flanqué d’un équipage fidèle, le pacha brave les tempêtes, surmonte les accidents et s’arrime toujours à bon port. Mais sur la terre ferme, le marin perd son expérience et ses intuitions. Contrôler l’incontrôlable, la tâche devient ardue lorsqu’on se frotte aux sentiments.

Ildiko Enyedi se place aux côtés du marin et ses perceptions. Jakob est convaincu que Lizzy ne l’aime pas. Les circonstances de leur union, son indifférence polie, son absence de jalousie attestent son désamour. Pourtant s’additionnent des plans furtifs : bref coup d’œil vers une horloge, regard appuyé d’une jeune vendeuse, jeux d’eau de matelots dénudés.., qui suggèrent qu’il existe d’autres points de vue, révélateurs d’autres  états, d'autres histoires. Entre les années folles parisiennes et l’austérité protestante hambourgeoises, L’Histoire ma femme colle à l’époque, sans le rococo des films en costumes. Dans ce classicisme stylisé, Ildiko Enyedi combine les fièvres de Goethe et le scalpel d’Ibsen. Vraiment, L’Histoire de ma femme est un beau film romantique. 

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FREAKS OUT

1943, un cirque à Rome, pas un Barnum multipistes mais un équipage façon Strada. En parade : Mathilde, adolescente dynamo ; à ses côtés : un nain magnétique (et priapique), un colosse ancêtre de Chewbacca et un dompteur de puces et lucioles. Soudain une déflagration déchire la toile, disperse la troupe et jette les monstres de foire dans l’enfer de la seconde guerre mondiale. Mathilde et ses partenaires confient leurs économies à Israël, leur directeur, afin qu’il ouvre un avant poste vers la liberté du Nouveau Monde. Dans l’attente, les Freaks cèdent aux avances du Berlin Circus et son directeur, pianiste à 12 doigts, médium à ses heures qui rêve de tutoyer le Führer.

A l’origine de On l’appelle Jeeg Robot qui, en 2015, entremêlait super pouvoirs et néo réalisme, Gabriele Mainetti poursuit le mixage des inspirations. Sur son sol natal, fort d’un budget «dantesque», le réalisateur convoque pêle-mêle Tod Browning, Guillermo Del Toro, Tim Burton, Fellini, Tarentino.., jusqu’à Giuseppe Albano alias Le Bossu de Rome, Robin des bois de la résistance anti fasciste. Il saupoudre la mixture d’humour, d’actions, plus quelques pincées de sexualité pas vraiment en accord avec les stéréotypes attendus.

Sur un flipper en scope-stéréo, Mainetti actionne une bille qui zigzague, rebondit entre l’Histoire et la farce, l’allégorie et la trivialité. Plus porté sur l’accumulation que sur la narration, le chef mitonne un pudding à l’emphase assumée et l’improbabilité sidérante. De cet empilage de péripéties, de couleurs, de décibels émane pourtant une saveur singulière, liée à l’ingéniosité, l’énergie et la sincérité avec lesquelles le bonhomme accommode les restes.

On sort de Freaks Out à demi assommé mais l’on se surprend à en redemander.

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THE CARD COUNTER

The Card counter s’ouvre sur la libération de William Tell (Oscar Isaac). Durant son incarcération le détenu a appris un métier : compter les cartes pour devenir un as du jeu en général, du poker en particulier. Tell va de ville en ville, séjourne dans des chambres qu’il transforme en cellules spartiates. Cheveux plaqués, élégant sans ambage, il joue beaucoup mais mise peu afin de pas être exclu des casinos. Le flambeur nomade sort de son mutisme lorsqu’il croise Cirk (Tye Sheridan), chien fou en rupture de tout.

En bon orfèvre du récit, Paul Shrader n’explique rien mais donne à comprendre, en particulier ce qui se cache derrière les postures marmoréennes d’Oscar Isaac (époustouflant comme il se doit). Loin des néons scorcesiens , le casino devient un lieu privé de jour, coupé du temps, où des rituels se perpétuent dans une stoïque tristesse. William suit une voie entre justice et contrition, dont lui seul connaît l’issue. On l’accompagne avec une curiosité teintée de compassion, qui s’ajoute à la joie de renouer avec un moraliste tourmenté, à nouveau au faîte de son cinéma.

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EL BUEN PATRON

De son bureau haut perché, Blanco (Javier Bardem) PDG des Basculas Blanco, annonce à ses salariés des résultats flatteurs et la sélection de la manufacture en finale d’un trophée de la meilleure entreprise. Du discours émane l'autosatisfaction tranquille d’un manager sans cesse à l’écoute, soucieux du vivre ensemble, pétri de bienveillance à l’égard d’un personnel qu’il assimile à une grande famille. La logorrhée lénifiante est toutefois parasitée par les éclats d’un employé qui, là bas au fond, refuse de vider son bureau. 

Près de 20 ans après Les lundis au soleil, Fernando Leon de Aranoa, revient à la chronique sociale mais déplace son point de vue. . Comme l’indique son titre El buen patron s’attache aux possédants, ici portraiturés dans une sarcastique perspicacité.

On pense bien sur à Dino Risi, l’observateur désenchanté, auteur d' Une vie difficile (1961) ou Au nom du peuple italien (1971)où s'agite une humanité empêtrée dans ses idéaux et renoncements. A l’instar de ses modèles italiens, El buen patron amalgame à merveille l’analyse sociologique, l’étude de caractères et les purs moments comiques.

Transcendé par ce leader plus sensible aux reflets de Narcisse qu'aux études de marché, El buen patron déroule un pamphlet méthodique, à l’ironie ajustée. 

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LA CONSPIRATION DU CAIRE

La Conspiration du Caire circonscrit son action à l’intérieur d’Al-Azhar, l’université religieuse de la capitale égyptienne. Le film s’ouvre au moment où Adam (Tawfeek Barthom interdit, insondable) reçoit sa lettre d’admission synonyme d’émancipation et d’ascension sociales. Dans la place, le fils de pêcheur prend ses marques. Mais le décès prématuré du vénérable directeur perturbe son intégration. Quelques temps après, le transfuge est témoin d’une sauvage mise à mort dans la cour de l’établissement. Au sein des luttes d’influences qui précèdent la nomination d’un nouveau timonier, Adam devient la taupe d’un agent du gouvernement, attentif à la désignation d’un religieux bien disposé à l’égard du pouvoir en place.

Enseignement à géométrie variable (de l’intégrisme assumé à une spiritualité plus ou moins pragmatique), congrégation étudiante adepte de pratiques claniques des plus coercitives, la description des cursus académiques et autres courants opaques qui innervent l’institution repose sur une base, de toute évidence, bien documentée.

Mais le film puise sa singularité et une large partie de son charme dans la manière dont Tarik Saleh parsème un récit solidement étayé de personnages iconoclastes : l’iman aveugle et indigné, son collègue accro à la junk food, le ministre vieille canaille clairvoyante. Et comment oublier le Colonel Ibrahim (formidable Fares Fares), barbouze à la fois matois et menaçant, clone lointain du lieutenant Colombo,

État des lieux, suspense politique, caractères rocambolesques, avec La Conspiration du Caire, Tarik Saleh approfondit sa quête des racines et confirme son attachement au récit d’apprentissage, doublé d’un goût pour les péripéties à la fois dangereuses et romanesques propres aux films populaires.

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ARIAFERMA

Sur les hauteurs de Sardaigne, la centrale de Mortana vit ses dernières heures. En raison de dysfonctionnements administratifs, le transfert des derniers détenus se trouve retardé. Attendue à son nouveau poste, le directrice ne peut différer son départ. Elle propulse Gargiulo, gardien vétéran (Toni Servillo) au rang de commandant provisoire. Pour faciliter la surveillance, celui-ci rassemble les prisonniers dans les cellules qui encerclent la rotonde centrale du bâtiment. La situation se complique lorsque s’interrompt la livraison des paniers repas. Condamné à une longue peine, Lagiola (Silvio Orlando) se propose pour réactiver les cuisines de la maison d’arrêt.

Comme on l’imagine, la situation de départ d’Ariaferma constitue un terreau de suspense et de brutalité, combustibles majeurs des films de prison. Si la tension s’installe et reste palpable jusqu’à la toute dernière séquence, la violence se cantonne à des affections individuelles, concomitantes aux remords ou à l’isolement.

Bâtisse imaginaire, Mortana devient une citadelle labyrinthique, enchevêtrement d’espaces vétustes, de couloirs opaques où circulent des ombres calfeutrées dans leur déterminisme de gardes ou de prisonniers.  Mais Ariaferma s’écarte à nouveau du prévisible. La parabole sur la sempiternelle absurdité de la condition humaine cède la place à une métaphore qui trouve son achèvement lors d’un repas partagé au centre de la coupole. En cet instant, véritable Cène laïque, s’esquisse une agora fragile, ferment d’une utopie en devenir.

Intelligents, sensibles, définitivement impénétrables, le geôlier et son prisonnier deviennent les figures tutélaires d’Ariaferma, suspense formaliste qui tord le cou aux poncifs dystopiques, aux stéréotypes de genre, pour s'accomplir dans une séquence finale, élégiaque et mystérieuse, bonhomme et bouleversante. Une somptueuse sortie des sentiers battus.

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LES CINQ DIABLES

Situé dans une commune alpestre aux frontières de l’hiver, Les Cinq diables s’attache à Vicky (Sally Dramé), dont la mère (Adèle Exarchopoulos) est maître nageur à la piscine municipale et le père (Moustapha Mbengue), pompier professionnel. Dotée d’un odorat surdéveloppé, la fillette subtilise des objets personnels nécessaires à des concoctions qui lui permettent de sentir jusqu’à revivre le passé de son entourage. De snif en snif, Vicky remonte aux origines de sa naissance. Son enquête dans les souvenirs prend une nouvelle envergure à l’arrivée de sa tante Julia (Swala Emati), la sœur de son père.

Aux Cinq Diables, certaines nagent dans le lac glacé pour conjurer le froid qui ankylose les corps et les sentiments, d’autres brisent le mutisme par des grimaces, des sous entendus laconiques ou des initiatives incompréhensibles. Alors que tonne la voix râpeuse de Bonnie Tyler et son Eclipse Totale du Cœur, chacun traduit à sa manière les symptômes de ce que Léa Mysius, la réalisatrice, définit comme des histoires de vies manquées.

La réalisatrice décortique ce monde du silence au fil d'un conte fantastique, doublé d’un fable sociologique qui enracine le politique dans l’intime. Dans ses priorités visuelles, la réalisatrice s’appuie sur une distribution de premier ordre. Sally Dramé et ses grands yeux noirs, Moustapha Mbengue massif et impénétrable, Adèle Exarchopoulos au visage interdit, souvent submergé, Daphné Patakia à moitié défigurée, contribuent à cette fable tournée à l’ancienne, en 35 mm, pellicule qui assouvit les contrastes et ménage les zones d’ombre.

Dans le sillage de Grave (2016) et Titane (2021-Julia Ducornau), La Nuée (2020-Just Philippot), Les Garçons sauvages (2017-Bertrand Mandico) Les Cinq Diables apporte sa pierre à une école fantastique française qui, loin de les reproduire, assimile les références et révèle son époque à travers une imagerie, dont la fantasmagorie et les extravagances n’excluent ni la perspicacité ni la conscience.

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LES PROMESSES

Les Promesses nous conduit dans les arcanes d’une mairie en Seine Saint Denis. Clémence (Isabelle Huppert) termine un second mandat. Avec son soutien, la première adjointe (Naidra Ayadi), candidatera aux prochaines élections. Auparavant, afin de partir en beauté, Clémence entend décrocher le financement nécessaire à la réhabilitation des Bernardins, barre d’immeuble de quelques 3000 habitants. Elle est aidée dans sa tâche par Yazid (Reda Kateb), son dir-cab, issu de la cité. Clémence et Yazid avancent de concert jusqu’au moment où le bloc se fissure. 

Solidement documenté, formidablement interprété : Huppert droite dans ses bottes même si vacillante sur ses hauts talons; Kateb, d'un sang froid à 4 épingles (façon Obama), sans oublier Laurent Poitrenaux, Jean-Paul Bordes, Hervé Pierre (de l’inévitable Comédie Française).., Les Promesses s’inscrit dans le sillage des films dossiers de Francesco Rosi (Main basse sur la ville 1963) ou, plus proche de nous, L’Exercice de l’Etat réalisé en 2011 par Pierre Schoeller.

Ce thriller social montre à l’œuvre des moines-citoyens qui usent de leur pouvoir sans s’écarter de l’éthique et des convictions. En ces temps de démocratie ballottée, voila des animaux politiques que l'on l’espère en voie de conservation. Si les films laborieux usent l’intérêt, ceux qui montrent le travail sont toujours intéressants. 

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