The Brutalist,
Monumental : qui a un caractère de grandeur majestueuse ; synonymes : démesuré, colossal, gigantesque, prodigieux.. (dictionnaire Le Robert).
C’est un quidam tourmenté qui, au terme de la seconde guerre mondiale, pointe à Ellis Island. Hongrois d’origine juive, László Thóth trace vers Doylestow, bourgade de Pennsylvanie, où son cousin Attila gère un magasin de meubles. Sur place, László crayonne des accessoires. Séduit par les lignes épurées de chaises en vitrine, Harry Van Buren décide d’offrir à son père une bibliothèque élaborée par le designer.
Aux étagères fonctionnelles, Thóth substitue des rayonnages élancés qui épousent la lumière et redessinent l’espace. Car, le concepteur fut, dans les années 30, l’une des figures de prou du brutalisme, école architecturale portée sur le culte de la verticalité et l’usage du béton.
Van Buren-père lui commande un bâtiment, coalition d'une bibliothèque, d'un auditorium, d'un gymnase et d'une église. A cet effet, l’affairiste l’accueille en son domaine, dans une annexe dédiée aux domestiques.
A l’instar des grands films, The Brutalist et son bâtisseur dévasté, distillent de multiples niveaux de lecture : parabole sur l’Amérique terre d’exil et de toutes les ségrégations, destins individuels broyés par l’Histoire mais, plus encore, fable sur l'exercice de la brutalité.
Dans ce contexte où l’intérêt commun et la raison complexe explosent sous les injonctions d’une idée galvaudée de la liberté, The Brutalist chronique un cauchemar éveillé dans lequel semble s’engouffrer notre humanité. En conséquence et bien que non réalisé par Spielberg, Cameron, Nolan, Scorsese, Villeneuve ou Coppola, The Brutalist, en adéquation avec ses hautes ambitions, est bel et bien un film monumental.
Critique complète : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/une-colline-surmontee-d-un-monument.htm
Photographie : Universal Pictures.
Une bataille après l’autre
Une bataille après l’autre égrène ses 161 minutes dans une balance parfaite entre les pleins et les déliés du récit, la structure, l’enchaînement des séquences, la composition du moindre plan, le recours à la musique et aux chansons, le jeu des interprètes souvent sur la crête périlleuse entre l’extravagance et l’outrance. Bref que du grand art, flamboyant et époustouflant.
Tout commence à la frontière mexicaine. Dans les années 2000, le groupuscule French 75, libère un camp de rétention. Le commando inclut Bob Ferguson, bidouilleur artificier, sous la gouverne de Perfidia Beverley Hills, combattante afro-américaine dont la ferveur libidinale s’épanche lors du climax des opérations. Face aux séditieux, se dresse (dans tous les sens du terme) le colonel Steven J. Lockjaw, raciste patenté, quoique sensible à la peau d’ébène.
11 ans après Inherent Vice, Paul Thomas Anderson adapte à nouveau Thomas Pynchon ; en l’occurrence Vineland, roman édité en 1990. Abordé dans À bout de course, beau film réalisé en 1987 par Sidney Lumet (1924-2011), le devenir des groupuscules libertaires en activité dans les années 70, se transpose de nos jours, âge d’or du revivalisme conservateur.
P.T Anderson opte pour une loufoquerie échevelée où un maniaque de l’ordre affronte des Robin des bois un tantinet cabossés mais chapeautés par la sage Sensei Sergio, alias Benicio del Toro, impérial et impayable.
Thème récurrent chez l'auteur, la paternité se partage entre une ganache fanatique (Sean Penn pour une fois supportable) et un looser aussi élimé que sa robe de chambre (DiCaprio déjanté et épatant). Entre les deux, se glisse une amazone, incarnation de la jeunesse, la clairvoyance et la diversité.
Alors qu’outre-Atlantique (et ailleurs) une réalité accablante dépasse les plus folles fictions, Paul Thomas Anderson se penche sur les clivages de l’Amérique et sublime son inquiétude dans une apocalypse joyeuse où, de bout en bout, la maîtrise rivalise avec l’élégance et la fantaisie propulse l’indignation.
Une bataille après l'autre grave le Cinéma en lettres majuscules (lumineuses et clignotantes).
Chronique intégrale : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/cinema-en-majeste.htm
Photographies : Warner Bros.
Un simple accident
Une embardée automobile amène un couple et leur fillette dans un garage. Les nouveaux venus figent Vahid, le mécanicien, dans la stupéfaction. Par la claudication du conducteur, il reconnaît Eghbal alias La Guibole, le geôlier qui lui a plusieurs fois bandé les yeux avant de le torturer.
S’ensuivent une filature et un enlèvement jusqu’à la fosse où le captif sera enterré vivant. Mais les dénégations véhémentes du condamné installent le doute. Après l’avoir bâillonné puis étourdi, Vahid, au volant de son fourgon, se lance dans une quête d’identification.
La démarche le mène vers Shiva, photographe de mariage, un couple de futurs mariés et, pour finir, un escogriffe sanguin. Les unes et les autres participent d’un équipage qui déroute le thriller vers la comédie picaresque.
Tant qu’à son identité, qu’au sort à lui destiner, la camionnette devient un lieu d’interrogatoire, un théâtre de débats, un point de questionnements. Le réveil des douleurs enfouies transforme une photographe réservée, une épouse mutine, en êtres à jamais écorchés.
Un simple accident déroule un périple philosophique, dans lequel Jafar Panahi jongle avec la tension et la comédie, épaulé par ses interprètes qui transportent ce projet périlleux. Une halte sur un parking engendre une loufoque ironie, un passage dans une maternité atteint un sommet de suspense et de tendresse. De l’échappée picaresque s’insinue une errance métaphorique sur la résilience et la culpabilité. Vers le dénouement, le long plan-séquence qui clôt le trajet constitue un momentum aussi dense que stupéfiant.
À la fin du trajet, un cliquetis furtif, lancinant, instille auprès de Vahid une endémique intranquillité. Ça ne finira jamais.
Un simple accident déclenche une plongée inattendue, profonde et bouleversante dans les multiples tréfonds de l’ humanité.
Intégralité du texte : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/recherche-d-identite.htm
Photographies : Memento Films.
The Life of Chuck
Signé Stephen King , The Life of Chuck se situe dans une inspiration en rupture avec le Fantastique et l’épouvante.
Le découpage en triptyque s’ouvre dans un embouteillage de fin de journée. Reclus dans son habitacle, Marty Anderson encaisse le chapelet de catastrophes qui s’égrène de l’autoradio. A intervalles réguliers, un placard publicitaire salue un certain Chuck pour ces 39 merveilleuses années.
Chapitre deux : une petite ville par une journée ensoleillée. Une jeune femme installe sa batterie sur le trottoir. Le solo s’ouvre sur un tempo cool, basique. Lunettes, mallette et complet noir, un quidam ralentit son pas à proximité de la percussionniste. Il s’ensuit une séquence appelée à figurer dans les anthologies du film musical.
Épisode trois : dans un collège, un maigrichon, premier de la classe, s’attarde dans une activité extra-scolaire et artistique.
Le passé et le présent se fanent, je les ai remplis, je les ai vidés. Et m’apprête à remplir mon prochain repli de l’avenir. Suis-je en contradiction avec moi-même ? Alors c’est parfait, je me contredis (Je suis vaste, je contiens des multitudes).
Le Chant de moi-même, poème de Walt Withman (1819-1892), balise ce labyrinthe que l’on appréhende dans le malaise, avant de s’y perdre dans une curiosité émerveillée.
Être faute d'avoir été ; The Life of Chuck est un film simplement compliqué, duquel s’échappe une mélancolie radieuse et à tout jamais universelle.
Pour ces 110 minutes, merci Stephen, merci Mike Flanagan (le réalisateur), merci Tom Hiddleston (l'interprète).. .
And Thanks so much Chuck.
Article sans coupes : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/simplement-complique.htm
Photographies : Nour Films
Oui
Oui se découpe en trois actes et s’ouvre sur un sabbat musical. Quelque part dans une villa chic de Tel-Aviv, une fête bat son plein. Saturée de substances et de décibels, la nouba se tient à quelques kilomètres d'un front de guerre.
L’animation de la soirée est assurée par une danseuse, Jasmine et Y, son époux musicien. Ce dernier est sollicité par un oligarque russe, pour la composition d’un hymne à l’éradication de la Palestine.
Dans un second temps, Y prend la route à la recherche de Leah, une amoureuse d’autrefois qui vit à proximité de la bande de Gaza. Par la suite, le mari prodigue réintègre son foyer.
Sur ce canevas ne se greffe non pas une histoire mais une déferlante. Dans la salle il n’aiment pas le film, remarque Y, au détour d’un énième tableau rugueux, criard et sur-amplifié.
Navad Lapid pilonne la morgue nationaliste et sa dérive guerrière. Son film épanche une indignation où se bousculent les audaces : le monologue de Leah, délivré dans la fureur d’une confession slamée ; et les outrances : le final dans la loge aussi répugnant que redondant.
Blindé dans sa fureur, calé dans sa rage de filmer, le réalisateur agonise l’insolence infatuée des puissances conservatrices, tout au long d’un maelstrom carnavalesque, d’un déferlement outragé, d'une catharsis salutaire face à l’abomination et la crasse obscénité qui souillent son pays.
Gestes exaltés, organiques, ulcérés.., Oui saisit à plein écran la folle confusion qui emporte les temps présents.
Chronique ad libitum : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/dans-la-salle-ils-n-aiment-pas-le-film.htm
Photographies : Films du Losange
Eddington
L'action se tient à Eddington, petite ville du Nouveau Mexique où chacun s’appelle par son prénom. Mais au printemps 2020, au cœur de la pandémie du Covid 19, les distances sont de rigueur et les masques obligatoires. Ces attitudes inédites indisposent Joe Cross, le marshal asthmatique de la bourgade.
Excédé, Cross décide se présenter aux prochaines élections municipales et transforme illico son véhicule de fonction en bannière électorale.
Rompu à l’Horreur élevée, Ari Aster bifurque vers les archetypes du western. Sans abandonner les familles explosées et les mères castratrices qui hantent sa courte filmographie (4 titres), le réalisateur délaisse ses mignardises auteurisantes au profit d'un crescendo contrasté, doublé d'une métaphore aussi réjouissante que tétanisante.
Amorcé sur le ton du conte bon enfant, le conflit se résout dans une conflagration nihiliste qui entérine un insidieux jeu de massacre. Aster agonise les paranoïas endémiques et renvoie dos à dos l’arrogance décomplexée des officines réactionnaires et les postures déconstructrices des cénacles progressistes.
Désormais la paix vient du Marché.
A défaut de tonifier les humeurs, cette provocation tranquille amène une lueur bienvenue dans un moment obscurci par les défiances, dévasté par les autodafés et nécrosé plus que jamais, par la paresse de l'ignorance.
Décidément le cinéma d’Ari Aster est férocement intéressant.
Critique complète : https://www.michel-flandrin.fr/cinema/bas-les-masques2.htm
Photographies : Metropolitan Films.